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Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/86

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L’HOMME DE COUR

CXLIV

Entrer sous le voile de l’intérêt d’autrui, pour rencontrer après le sien.

C’est un stratagème très propre à faire obtenir ce que l’on prétend ; les directeurs même enseignent cette sainte ruse pour ce qui concerne le salut. C’est une dissimulation très importante, attendu que l’utilité qu’on se figure sert d’amorce pour attirer la volonté. Il semble à autrui que son intérêt va le premier, et ce n’est que pour ouvrir le chemin à la prétention. Il ne faut jamais entrer à l’étourdi, mais surtout où il y a du danger au fond. Et lorsqu’on a affaire à ces gens dont le premier mot est toujours : non, il ne leur faut pas montrer où l’on vise, de peur qu’ils ne voient les raisons de ne pas accorder ; et principalement quand on pressent qu’ils y ont de la répugnance. Cet avis est pour ceux qui savent faire de leur esprit tout ce qu’ils veulent, qui est la quintessence de la subtilité.

CXLV

Ne point montrer le doigt malade.

Car chacun y viendra frapper. Garde-toi aussi de t’en plaindre, d’autant que la malice attaque toujours par l’endroit le plus faible ; le ressentiment ne sert qu’à la divertir. Elle ne cherche qu’à jeter hors des gonds ; elle coule des mots piquants, et met tout en œuvre jusqu’à ce qu’elle ait trouvé le vif. L’homme adroit ne doit donc jamais découvrir son mal, soit personnel, ou héré-