Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/117

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passablement rayé. Les yeux, comme ceux des joueurs qui ont passé des nuits innombrables, étaient couverts comme d’un glacis ; mais, quoique affaibli, le regard n’en était que plus terrible, il épouvantait. On sentait là-dessous une chaleur couvée, une lave de passions mal éteinte.

Cette bouche, autrefois si fraîche et si rouge, avait également des teintes froides ; elle n’était plus droite, elle fléchissait sur la droite. Cette sinuosité semblait indiquer le mensonge. Le vice avait tordu ses lèvres ; mais les dents étaient encore belles et blanches.

Ces flétrissures disparaissaient dans l’ensemble de la physionomie et de la personne. Les formes étaient toujours si séduisantes, qu’aucun jeune homme ne pouvait lutter au bois de Boulogne avec Maxime à cheval où il se montrait plus jeune, plus gracieux que le plus jeune et le plus gracieux d’entre eux. Ce privilége de jeunesse éternelle a été possédé par quelques hommes de ce temps.

Le comte était d’autant plus dangereux, qu’il paraissait souple, indolent, et ne laissait pas voir l’épouvantable parti pris qu’il avait sur toute chose. Cette effroyable indifférence qui lui permettait de seconder une sédition populaire avec autant d’habileté qu’il pouvait en mettre à une intrigue de cour, dans le but de raffermir l’autorité d’un prince, avait une sorte de grâce. Jamais on ne se défie du calme, de l’uni, surtout en France, où nous sommes habitués à beaucoup de mouvement pour les moindres choses.

Vêtu selon la mode de 1839, le comte était en habit noir, en gilet de cachemire bleu foncé, brodé de petites fleurs d’un bleu clair, en pantalon noir, en bas de soie gris, en souliers vernis. Sa montre, contenue dans une des poches du gilet, se rattachait par une chaîne élégante à l’une des boutonnières.

— Rastignac, dit-il en acceptant la tasse de thé que la jolie madame de Rastignac lui tendit, voulez-vous venir avec moi à l’ambassade d’Autriche ?

— Mon cher, je suis trop nouvellement marié pour ne pas rentrer avec ma femme !