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4 mai, cinq heures du matin.

J’avais compté sur un sommeil embelli par les plus beaux songes ; je n’ai pas dormi plus d’une heure, et je me réveille mordu au cœur par une idée détestable ; mais avant de te la transmettre, car elle n’a peut-être pas le sens commun, que d’abord je te dise un peu ce qui s’est passé hier soir chez le notaire ; certains détails de cette scène ne sont peut-être pas étrangers au mouvement fantasmagorique qui vient de se faire dans mon esprit.

Après que la domestique de maître Pigoult, Champenoise pur sang, nous eut fait traverser une étude de l’aspect le plus antique et le plus vénérable, où l’on ne voit pas de clercs travaillant le soir, comme on fait à Paris, cette fille nous introduisit dans le cabinet du patron, grande pièce froide et humide qu’éclairaient très-imparfaitement deux bougies stéariques placées sur le bureau.

Malgré une bise assez piquante qui soufflait au dehors, sur la foi du mois de mai des poëtes et du printemps légalement déclaré à cette époque de l’année, il n’y avait point de feu allumé à l’âtre ; mais tous les préparatifs d’une joyeuse flambée étaient faits dans la cheminée. Maître Achille Pigoult, petit homme chétif, horriblement grêlé et affligé de lunettes vertes, par-dessus lesquelles d’ailleurs il darde un regard plein de vivacité et d’intelligence, nous demanda si nous trouvions qu’il fît assez chaud dans l’appartement. Sur notre réponse affirmative, qu’il dut bien entrevoir un peu dictée par la politesse, il avait déjà développé ses dispositions incendiaires jusqu’à faire flamber une allumette, quand, partant d’un des coins les plus obscurs de la pièce, une voix cassée et décrépite, dont nous n’avions pas encore aperçu le propriétaire, intervint pour s’opposer à cette prodigalité.

— Mais non ! Achille, n’allume pas de feu, lui cria le vieillard ; nous sommes cinq ici, les lumières donnent beaucoup de chaleur, et tout à l’heure ce sera à n’y pas tenir.