Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/275

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ne dit jamais qu’Antonia tout court, et quand il veut la traiter avec plus de respect, mademoiselle ou miss Antonia.

Mais que vient faire à Arcis mademoiselle Chocardelle ? Un voyage d’agrément, sans doute, ou la conduite à monsieur le journaliste, qui, probablement, aura voulu lui donner part au crédit que l’entreprise à forfait de notre diffamation quotidienne va lui ouvrir sur la caisse des fonds secrets ? Non, madame. Mademoiselle Chocardelle vient à Arcis pour affaires, pour des rentrées.

Il paraîtrait qu’avant son départ pour l’Afrique, où il vient de trouver une mort glorieuse, le jeune Charles Keller aurait fait à mademoiselle Antonia ou ordre un billet de la somme de dix mille francs valeur reçue en meubles, ce qui constitue une charmante équivoque, les meubles n’ayant pu être reçus que par mademoiselle Chocardelle, qui ainsi aurait estimé à la somme de dix mille francs le sacrifice qu’elle faisait de les accepter.

Quoi qu’il en soit, peu de jours après la nouvelle du décès de son débiteur, le billet était près d’arriver à échéance, mademoiselle Antonia aurait fait passer à la caisse des frères Keller pour savoir s’il serait acquitté. Le caissier, qui est un bourru, comme tous les caissiers, aurait répondu qu’il ne s’expliquait pas que mademoiselle Antonia eût le front de faire présenter un pareil titre, mais que, dans tous les cas, les frères Keller, ses patrons, étaient dans le moment à Gondreville, où la fatale nouvelle avait réuni toute la famille, et qu’il ne payerait pas sans leur en avoir référé.

Eh bien ! j’en référerai moi-même, aurait répondu mademoiselle Antonia, qui ne voulait pas laisser périmer son titre. Là-dessus, comme elle méditait de partir seule pour Arcis, le gouvernement éprouve le besoin de nous faire dire des injures, sinon plus grosses, du moins plus spirituelles qu’on ne les dit en province, et le soin de les aiguiser est confié à un journaliste entre deux âges, pour lequel mademoiselle Antonia, en l’absence de Charles Keller, avait eu des bontés ! « Je pars pour Arcis, » se seraient dit au même instant l’écrivain et la demoiselle ; la vie la plus ordinaire et la plus courante a de ces rencontres. Est-il maintenant