Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/312

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bourgeoisie, tout, comme par l’effet d’un charme jeté sur la contrée, se met à tourner au favori de cette vieille fée aux nonnes, et sans le bataillon sacré des fonctionnaires, qui sous mon œil fait bonne contenance et ne se débande pas, il n’y avait pas de raison pour que son élection comme la vôtre n’eût pas lieu à l’unanimité.

— Alors, pauvre ami, bonsoir à la dot !

— Pas précisément ; mais au moins tout est ajourné. Le père se plaint qu’on ait troublé la béate tranquillité de son existence, et qu’on l’ait affublé d’un ridicule, quand le pauvre homme en est déjà si riche ! La fille veut bien toujours être comtesse, mais sa mère ne prend pas son parti de voir son salon politique à vau-l’eau, et Dieu sait jusqu’où je serai obligé maintenant de pousser avec elle la consolation. D’ailleurs, moi-même, je suis talonné par la nécessité d’avoir prochainement la solution de mon problème ; là, elle était trouvée, je me mariais, je prenais une année pour l’arrangement de mes affaires ; puis, à la prochaine session, je faisais donner la démission à mon bonhomme de beau-père, et venais occuper à la Chambre son siège devenu vacant : vous comprenez, devant moi quel horizon !

— Mais, mon cher, horizon politique à part, il ne faut pas laisser échapper ce million.

— Mon Dieu ! de ce côté-là, sauf l’ajournement, je suis tranquille. Mes gens vont arriver à Paris. Après l’échec qu’ils viennent de subir, le séjour d’Arcis n’est plus pour eux supportable. Beauvisage en particulier (pardon du nom, mais c’est celui de ma famille adoptive), Beauvisage est comme un Coriolan prêt, s’il le pouvait, à mettre à feu et à sang son ingrate patrie. D’ailleurs, en se transplantant ici, ces malheureux exilés savent où reposer leur tête, car ils vont, s’il vous plaît, être propriétaires de l’hôtel Beauséant.

— Propriétaires de l’hôtel Beauséant ! s’écria le colonel avec stupéfaction.

— Eh bien ! oui : Beauséant, Beauvisage ; il n’y a que la désinence à changer. Ah ! mon cher, vous ne savez pas ce que c’est que ces fortunes de province accumulées sou à