Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/316

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majorité problématique et provisoire, et qui ne lui promettait qu’une existence souffreteuse et combattue. Toutefois, il avait obtenu ce succès matériel dont on se contente quand on veut à tout prix s’éterniser au pouvoir. Dans son camp, on chantait ce Te Deum à toutes mains, qui sert aussi bien à célébrer les défaites douteuses que les victoires franchement enlevées.

Le soir du jour où le colonel Franchessini avait eu avec Maxime de Trailles la conversation que nous venons de rapporter, le résultat général des élections était connu ; les ministres de la rive gauche, qui recevaient ce jour-là, voyaient donc leurs salons encombrés ; et en particulier au ministère des travaux publics, chez le comte de Rastignac, la foule était énorme. Sans être précisément homme de tribune, par sa dextérité, par l’élégance de ses manières, par son esprit de ressources, et surtout par son dévouement absolu à la politique personnelle, ce diminutif d’homme d’État, dans un cabinet destiné à vivre d’expédients, devait arriver à un rôle de première importance.

Trop préoccupée de ses enfants pour être fort exacte à remplir ses devoirs de monde, madame de l’Estorade devait depuis longtemps à madame de Rastignac une visite. C’était celle que la femme du ministre était venue lui faire le soir où le sculpteur, passé député, avait dîné chez elle à l’occasion de cette fameuse statuette, précédemment racontée à madame Octave de Camps.

Zélé conservateur, nous le savons déjà, monsieur de l’Estorade avait insisté pour que, dans un jour où la politesse et la politique trouveraient à la fois leur compte, sa femme payât sa dette déjà ancienne. Arrivée de bonne heure afin d’être plus tôt quitte de sa corvée, madame de l’Estorade se trouvait occuper le haut bout du cercle formé par les femmes assises, pendant que les hommes causaient debout. Son fauteuil était côte à côte avec celui de madame de Rastignac, placée la première à partir de la cheminée ; dans les salons officiels, c’est une façon d’enseigne à l’usage des arrivants, qui ainsi savent droit où aller pour saluer la maîtresse de la maison.