Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/321

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parlons sérieusement. À ma connaissance, ce monsieur de Sallenauve, c’est, je crois, le nom qu’il a échangé contre son nom de Dorlange, que lui-même appelait gaiement un nom de comédie, se trouve avoir commis en peu de temps deux très-belles actions. Moi présent et assistant, il a manqué se faire tuer par le duc de Rhétoré, pour quelques paroles mal sonnantes prononcées sur le compte d’un de ses amis. Ces paroles, d’abord il pouvait ne pas les avoir entendues ; et c’est bien juste, après les avoir recueillies, s’il avait, je ne dis pas le devoir, mais le droit de les relever.

— Ah ! fit madame de Rastignac, c’est lui qui a eu avec monsieur de Rhétoré ce duel dont il a été tant parlé ?

— Oui, madame, et je dois dire que, dans cette rencontre, moi qui m’y connais, il se conduisit avec une bravoure consommée.

Avant de laisser entamer le récit de l’autre belle action, au risque de se montrer impolie en coupant en deux le raisonnement commencé, madame de l’Estorade se leva, et fit imperceptiblement signe à son mari qu’elle voulait partir. Monsieur de l’Estorade profita de la ténuité de la démonstration pour ne la pas comprendre et rester en place.

Monsieur de Ronquerolles reprit :

— Son autre belle action fut de se jeter sous les pieds de chevaux emportés, pour arracher à une mort imminente la fille de madame.

Tous les regards se portèrent sur madame de l’Estorade, qui, cette fois, rougit à fond ; mais en même temps, reprenant la parole, ne fût-ce que par le besoin impérieux de se faire une contenance, elle dit avec émotion :

— Il est à croire, monsieur, que vous arriverez à conclure que monsieur de Sallenauve a été un grand sot dans cette occasion, car il y allait de sa vie, et il coupait court ainsi à tous ses succès à venir ; je dois vous dire pourtant qu’il y a une femme que vous aurez quelque peine à ranger de votre opinion, et cette femme, s’il faut vous la nommer — c’est la mère de mon enfant.

En achevant cette phrase, madame de l’Estorade avait presque des larmes dans la voix ; elle serra affectueusement