Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/335

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— Il est riche, reprit Rastignac ; il a douze mille francs d’appointements, les trois cent mille francs qu’il a recueillis dans la succession de Lucien de Rubempré, plus le produit d’une fabrique de cuirs vernis, qu’il a établie du côté de Gentilly et qui rend beaucoup. Sa tante, Jacqueline Collin, avec laquelle il fait ménage commun, s’occupe toujours d’affaires un peu véreuses, où elle recueille nécessairement de très-beaux bénéfices, et j’ai de fortes raisons de croire que tous deux ont joué avec bonheur à la Bourse. Que diable ! mon cher, avec tout cela on se récrépit et l’on purge sa contumace. Dans le siècle où nous vivons, le luxé est une force ; par là, sans doute, on ne s’acquiert ni la considération ni le respect, mais, ce qui leur ressemble beaucoup, on s’en ménage les apparences. Mettez donc à pied ou dans une mansarde de certains hommes d’État ou de finance que je pourrais vous nommer ; mais, dans les rues, les polissons courraient après eux et les traiteraient comme des gens ivres ou des Turcs de carnaval ! Eh bien ! votre homme, qui, pour ne pas tremper dans la boue, aurait besoin de monter sa vie sur quelque piédestal, n’a trouvé rien de mieux que de la transporter brusquement à son pôle opposé. Tous les soirs, dans un café situé près de la Préfecture, au bas du pont Saint-Michel, il fait bourgeoisement sa partie de dominos, et le dimanche, dans la compagnie de petits commerçants retirés, il va philosophiquement passer sa journée à une bicoque qu’il a achetée non loin du bois de Romainville, dans les prés Saint-Gervais ; là, il cherche le dahlia bleu, et parlait, l’an passé, de couronner une rosière ! Tout cela, mon cher colonel, est trop bucolique pour le mener à la manutention de là police politique. Qu’il se dérange un peu, ce vertueux Germeuil ! qu’il jette de l’argent, qu’il donne à dîner ; le bourreau, si l’envie lui en prenait, aurait des dîneurs !

— Je suis de votre avis, dit Franchessini. Je crois que, de peur d’attirer l’attention, il se pelotonne un peu trop sur lui-même.

— Qu’il se développe, au contraire, et, puisqu’il veut toucher aux affaires, qu’il trouve un moyen honnête de