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quoiqu’il eût dix-huit mille francs de rente, se trouvait perpétuellement pris entre le désir de se concilier les bonnes grâces d’un procureur général susceptible d’être garde des sceaux tout comme tant d’avocats députés, et la nécessité de garder sa dignité.

Olivier Vinet, mince et fluet, blond, à la figure fade, relevée par deux yeux verts pleins de malice, était de ces jeunes gens railleurs, portés au plaisir, qui savent reprendre l’air gourmé, rogue et pédant dont s’arment les magistrats une fois sur leur siége. Le grand, gros, épais et grave procureur du Roi, venait d’inventer depuis quelques jours un système au moyen duquel il se tirait d’affaires avec le désespérant Vinet, il le traitait comme un père traite un enfant gâté.

— Olivier, répondit-il à son substitut en lui frappant sur l’épaule, un homme qui a autant de portée que vous doit penser que maître Giguet peut devenir député. Vous eussiez dit votre mot tout aussi bien devant des gens d’Arcis qu’entre amis.

— Il y a quelque chose contre Giguet, dit alors monsieur Martener.

Ce bon jeune homme, assez lourd, mais plein de capacité, fils d’un médecin de Provins, devait sa place au procureur-général Vinet, qui fut pendant longtemps avocat à Provins et qui protégeait les gens de Provins, comme le comte de Gondreville protégeait ceux d’Arcis[1].

— Quoi ? fit Antonin.

— Le patriotisme de clocher est terrible contre un homme qu’on impose à des électeurs, reprit le juge ; mais quand il s’agira pour les bonnes gens d’Arcis d’élever un de leurs égaux, la jalousie, l’envie seront plus fortes que le patriotisme.

— C’est bien simple, dit le procureur du Roi, mais c’est bien vrai… Si vous pouvez réunir cinquante voix ministérielles, vous vous trouverez vraisemblablement le maître des élections ici, ajouta-t-il en regardant Antonin Goulard.

  1. Voir Pierrette.