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Philéas mit souvent en réquisition des chevaux et des fourgons, comme s’il s’agissait du salut de l’empire. Mais la majesté du commerce ne valait-elle pas celle de Napoléon ? Les marchands anglais, après avoir soldé l’Europe, n’avaient-ils pas raison du colosse qui menaçait leurs boutiques ?…

Au moment où l’empereur abdiquait à Fontainebleau, Philéas triomphant, se trouvait maître de l’article. Il soutint, par suite de ses habiles manœuvres, la dépréciation des cotons, et doubla sa fortune au moment où les plus heureux fabricants étaient ceux qui se défaisaient de leurs marchandises à cinquante pour cent de perte. Il revint à Arcis, riche de trois cent mille francs, dont la moitié, placée sur le grand-livre à soixante francs, lui produisit quinze mille livres de rentes. Cent mille francs furent destinés à doubler le capital nécessaire à son commerce. Il employa le reste à bâtir, meubler, orner une belle maison sur la place du Pont, à Arcis.

Au retour du bonnetier triomphant, monsieur Grévin fut naturellement son confident. Le notaire avait alors à marier une fille unique, âgée de vingt ans. Le beau-père de Grévin, qui fut pendant quarante ans médecin d’Arcis, n’était pas encore mort. Grévin, déjà veuf, connaissait la fortune de la mère Beauvisage. Il crut à l’énergie, à la capacité d’un jeune homme assez hardi pour avoir ainsi fait la campagne de 1814. Séverine Grévin avait en dot la fortune de sa mère, soixante mille francs. Que pouvait laisser le vieux bonhomme Varlet à Séverine ? tout au plus une pareille somme ! Grévin était alors âgé de cinquante ans ; il craignait de mourir ; il ne voyait plus jour, sous la Restauration, à marier sa fille à son goût ; car, pour elle, il avait de l’ambition. Dans ces circonstances, il eut la finesse de se faire demander sa fille en mariage par Philéas.

Séverine Grévin, jeune personne bien élevée, belle, passait alors pour être un des bons partis d’Arcis. D’ailleurs, une alliance avec l’ami le plus intime du sénateur, comte de Gondreville, maintenu pair de France, ne pouvait qu’honorer le fils d’un fermier de Gondreville ; la veuve Beauvi-