Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/73

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concentrer sur sa fille et sur sa petite-fille, il les aimait plus que son argent.

Ce septuagénaire propret, à figure toute ronde, au front dégarni, aux yeux bleus et à cheveux blancs, avait quelque chose d’absolu dans le caractère, comme chez tous ceux à qui ni les hommes, ni les choses n’ont résisté. Son seul défaut, extrêmement caché d’ailleurs, car il n’avait jamais eu occasion de le manifester, était une rancune persistante, terrible, une susceptibilité que Malin n’avait jamais heurtée. Si Grévin avait toujours servi le comte de Gondreville, il l’avait toujours trouvé reconnaissant ; jamais Malin n’avait ni humilié ni froissé son ami qu’il connaissait à fond. Les deux amis conservaient encore le tutoiement de leur jeunesse et la même affectueuse poignée de main. Jamais le sénateur n’avait fait sentir à Grévin la différence de leurs situations ; il devançait toujours les désirs de son ami d’enfance, en lui offrant toujours tout, sachant qu’il se contenterait de peu.

Grévin, adorateur de la littérature classique, puriste, bon administrateur, possédait de sérieuses et vastes connaissances en législation ; il avait fait pour Malin des travaux qui fondèrent au Conseil d’État la gloire du rédacteur des Codes.

Séverine aimait beaucoup son père, elle et sa fille ne laissaient à personne le soin de faire son linge ; elles lui tricotaient des bas pour l’hiver, elles avaient pour lui les plus petites précautions, et Grévin savait qu’il n’entrait dans leur affection aucune pensée d’intérêt ; le million probable de la succession paternelle n’aurait pas séché leurs larmes ; les vieillards sont sensibles à la tendresse désintéressée. Avant de s’en aller de chez le bonhomme, tous les jours madame Beauvisage et Cécile s’inquiétaient du dîner de leur père pour le lendemain, et lui envoyaient les primeurs du marché.

Madame Beauvisage avait toujours souhaité que son père la présentât au château de Gondreville, et la liât avec les filles du comte ; mais le sage vieillard lui avait maintes fois expliqué combien il était difficile d’entretenir des relations suivies avec la duchesse de Carigliano, qui habitait Paris, et qui venait rarement à Gondreville, ou avec la brillante ma-