CHAPITRE X
L’INCONNU
Séverine trouva son père assis sur un banc de bois, au bout de sa terrasse, sous les lilas en fleur et prenant son café, car il était cinq heures et demie. Elle vit bien, à la douleur gravée sur la figure de son père, qu’il savait la nouvelle. En effet, le vieux pair de France venait d’envoyer un valet de chambre à son ami, en le priant de venir le voir.
Jusqu’alors le vieux Grévin n’avait pas voulu trop encourager l’ambition de sa fille ; mais, en ce moment, au milieu des réflexions contradictoires qui se heurtaient dans sa triste méditation, son secret lui échappa.
— Ma chère enfant, lui dit-il, j’avais formé pour ton avenir les plus beaux et les plus fiers projets, la mort vient de les renverser. Cécile eût été vicomtesse Keller, car Charles, par mes soins, eût été nommé député d’Arcis, et il eût succédé quelque jour à la pairie de son père. Gondreville, ni sa fille, madame Keller, n’auraient refusé les soixante mille francs de rentes que Cécile a en dot, surtout avec la perspective de cent autres que vous aurez un jour… Tu aurais habité Paris avec ta fille, et tu y aurais joué ton rôle de belle-mère dans les hautes régions du pouvoir.
Madame Beauvisage fit un geste de satisfaction.
— Mais nous sommes atteints ici du coup qui frappe ce charmant jeune homme à qui l’amitié du prince royal était acquise déjà… Maintenant, ce Simon Giguet, qui se pousse sur la scène politique, est un sot, un sot de la pire espèce, car il se croit un aigle… Vous êtes trop liés avec les Giguet et la maison Marion pour ne pas mettre beaucoup de formes à votre refus, et il faut refuser…
— Nous sommes comme toujours du même avis, mon père.