Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et Théodore, à qui l’on allait couper les cheveux pour le faucher à quatre heures ce soir, s’écria Jacques Collin ?

— Enfin, c’est une idée ! nous finirons honnêtes gens et bourgeois, dans une belle propriété, sous un beau climat en Touraine.

— Que pouvais-je devenir ? Lucien a emporté mon âme, toute ma vie heureuse ; je me vois encore trente ans à m’ennuyer, et je n’ai plus de cœur. Au lieu d’être le dab du bagne, je serai le Figaro de la justice, et je vengerai Lucien. Ce n’est que dans la peau de la raille (police) que je puis en sûreté démolir Corentin. Ce sera vivre encore que d’avoir à manger un homme. Les états qu’on fait dans le monde ne sont que des apparences ; la réalité, c’est l’idée ! ajouta-t-il en se frappant le front. Qu’as-tu maintenant dans notre trésor ?

— Rien, dit la tante épouvantée de l’accent et des manières de son neveu. Je t’ai tout donné pour ton petit. La Romette n’a pas plus de vingt mille francs pour son commerce. J’ai tout pris à madame Nourrisson, elle avait environ soixante mille francs à elle… Ah ! nous sommes dans des draps qui ne sont pas blanchis depuis un an. Le petit a dévoré les fades des Fanandels, notre trésor et tout ce que possédait la Nourrisson.

— Ça faisait ?

— Cinq cent soixante mille…

— Nous en avons cent cinquante en or, que Paccard et Prudence nous devront. Je vais te dire où en prendre deux cents autres… Le reste viendra de la succession d’Esther. Il faut récompenser la Nourrisson. Avec Théodore, Paccard, Prudence, la Nourrisson et toi, j’aurai bientôt formé le bataillon sacré qu’il me faut… Écoute, nous approchons…

— Voici les trois lettres, dit Jacqueline qui venait de donner le dernier coup de ciseaux à la doublure de sa robe.

— Bien, répondit Jacques Collin, en recevant les trois précieux autographes, trois papiers vélins encore parfumés. Théodore a fait le coup de Nanterre.

— Ah ! c’est lui… !

— Tais-toi, le temps est précieux, il a voulu donner la becquée à un petit oiseau de Corse nommé Ginetta… Tu vas employer la Nourrisson à la trouver, je te ferai passer les renseignements nécessaires par une lettre que Gault te remettra. Tu viendras au guichet de la Conciergerie dans deux heures d’ici. Il s’agit de lâ-