Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/129

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velle ; il marcha rapidement du Palais à l’église Saint-Germain-des-Prés, où la messe était finie. On jetait l’eau bénite sur la bière, et il put arriver assez à temps pour faire cet adieu chrétien à la dépouille mortelle de cet enfant si tendrement chéri ; puis il monta dans une voiture, et accompagna le corps jusqu’au cimetière.

Dans les enterrements, à Paris, à moins de circonstances extraordinaires, ou dans les cas assez rares de quelque célébrité décédée naturellement, la foule venue à l’église diminue à mesure qu’on s’avance vers le Père-Lachaise. On a du temps pour une démonstration à l’église, mais chacun a ses affaires et y retourne au plus tôt. Aussi, des dix voitures de deuil, n’y en eut-il pas quatre de pleines. Quand le convoi atteignit au Père-Lachaise, la suite ne se composait que d’une douzaine de personnes, parmi lesquelles se trouvait Rastignac.

— C’est bien de lui être fidèle, dit Jacques Collin à son ancienne connaissance.

Rastignac fit un mouvement de surprise en trouvant là Vautrin.

— Soyez calme, lui dit l’ancien pensionnaire de madame Vauquer, vous avez en moi un esclave, par cela seul que je vous trouve ici. Mon appui n’est pas à dédaigner, je suis ou je serai plus puissant que jamais. Vous avez filé votre câble, vous avez été très adroit ; mais vous aurez peut-être besoin de moi, je vous servirai toujours.

— Mais qu’allez-vous donc être ?

— Le pourvoyeur du bagne au lieu d’en être locataire, répondit Jacques Collin.

Rastignac fit un mouvement de dégoût.

— Ah ! si l’on vous volait !…

Rastignac marcha vivement pour se séparer de Jacques CoIlin.

— Vous ne savez pas dans quelles circonstances vous pouvez vous trouver.

On était arrivé sur la fosse creusée à côté de celle d’Esther.

— Deux créatures qui se sont aimées et qui étaient heureuses ! dit Jacques Collin ; elles ont réunies. C’est encore un bonheur de pourrir ensemble. Je me ferai mettre là.

Quand on descendit le corps de Lucien dans la fosse, Jacques Collin tomba raide, évanoui. Cet homme si fort ne soutint pas ce léger bruit des pelletées de terre que les fossoyeurs jettent sur le corps pour venir demander leur pourboire. En ce moment, deux