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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/14

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regardé comme un homme bien capable ! Ne va pas chez monsieur de Grandville, attends-le à son parquet avec cette arme formidable ! C’est un canon chargé sur les trois plus considérables familles de la cour et de la pairie. Sois hardi, propose à monsieur de Grandville de vous débarrasser de Jacques Collin en le transférant à la Force, où les forçats savent se débarrasser de leurs dénonciateurs. J’irai, moi, chez la duchesse de Maufrigneuse, qui me mènera chez les Grandlieu. Peut-être verrai-je aussi monsieur de Sérizy. Fie-toi à moi pour sonner l’alarme partout. Écris-moi surtout un petit mot convenu pour que je sache si le prêtre espagnol est judiciairement reconnu pour être Jacques Collin. Arrange-toi pour quitter le Palais à deux heures, je t’aurai fait obtenir une audience particulière du garde des sceaux : peut-être sera-t-il chez la marquise d’Espard.

Camusot restait planté sur ses jambes dans une admiration qui fit sourire la fine Amélie.

— Allons, viens dîner, et sois gai, dit-elle en terminant. Vois ! nous ne sommes à Paris que depuis deux ans, et te voilà en passe de devenir conseiller avant la fin de l’année… De là, mon chat, à la présidence d’une chambre à la cour, il n’y aura pas d’autre distance qu’un service rendu dans quelque affaire politique.

Cette délibération secrète montre à quel point les actions et les moindres paroles de Jacques Collin, dernier personnage de cette étude, intéressaient l’honneur des familles au sein desquelles il avait placé son défunt protégé.

La mort de Lucien et l’invasion à la Conciergerie de la comtesse de Sérizy venaient de produire un si grand trouble dans les rouages de la machine, que le directeur avait oublié de lever le secret du prétendu prêtre espagnol.

Quoiqu’il y en ait plus d’un exemple dans les annales judiciaires, la mort d’un prévenu pendant le cours de l’instruction d’un procès, est un événement assez rare pour que les surveillants, le greffier et le directeur fussent sortis du calme dans lequel ils fonctionnent. Néanmoins, pour eux, le grand événement n’était pas ce beau jeune homme devenu si promptement un cadavre, mais bien la rupture de la barre en fer forgé de la première grille du guichet par les délicates mains d’une femme du monde. Aussi, directeur, greffier et surveillants, dès que le procureur général, le comte Octave de Bauvan, furent partis dans la voiture du comte de Sé-