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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/16

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étranges crises nerveuses par lesquelles on prouve l’existence du magnétisme, je consentis ! Voici le fait. Je voudrais bien savoir ce que dirait notre Académie de médecine si l’on soumettait, l’un après l’autre, ses membres à cette action qui ne laisse aucune échappatoire à l’incrédulité. Mon vieil ami…

Ce médecin, dit le docteur Lebrun en ouvrant une parenthèse, est un vieillard persécuté pour ses opinions par la Faculté, depuis Mesmer ; il a soixante-dix ou douze ans, et se nomme Bouvard. C’est aujourd’hui le patriarche de la doctrine du magnétisme animal. Je suis un fils pour ce bonhomme, je lui dois mon état. Donc le vieux et respectueux Bouvard me proposait de me prouver que la force nerveuse mise en action par le magnétiseur était non pas infinie, car l’homme est soumis à des lois déterminées, mais qu’elle procédait comme les forces de la nature dont les principes absolus échappent à nos calculs.

— Ainsi, me dit-il, si tu veux abandonner ton poignet au poignet d’une somnambule qui dans l’état de veille ne te le presserait pas au-delà d’une certaine force appréciable, tu reconnaîtras que, dans l’état si sottement nommé somnambulique, ses doigts auront la faculté d’agir comme des cisailles manœuvrées par un serrurier !

Eh ! bien, monsieur, lorsque j’ai eu livré mon poignet à celui de la femme, non pas endormie, car Bouvard réprouve cette expression, mais isolée, et que le vieillard eut ordonné à cette femme de me presser indéfiniment et de toute sa force le poignet, j’ai prié d’arrêter au moment où le sang allait jaillir du bout de mes doigts. Tenez ! voyez le bracelet que je porterai pendant plus de trois mois ?

— Diable ! dit monsieur Gault en regardant une ecchymose circulaire qui ressemblait à celle qu’eût produite une brûlure.

— Mon cher Gault, reprit le médecin, j’aurais eu ma chair prise dans un cercle de fer qu’un serrurier aurait vissé par un écrou, je n’aurais pas senti ce collier de métal aussi durement que les doigts de cette femme ; son poignet était de l’acier inflexible, et j’ai la conviction qu’elle aurait pu me briser les os et me séparer la main du poignet. Cette pression, commencée d’abord d’une manière insensible, a continué sans relâche en ajoutant toujours une force nouvelle à la force de pression antérieure ; enfin un tourniquet ne se serait pas mieux comporté que cette main chan-