Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/169

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s’incarner au malheur, s’initier à de tels intérieurs ! Agir perpétuellement dans les drames renaissants dont la peinture nous charme chez les auteurs célèbres… Je ne croyais pas que le Bien fût plus piquant que le Vice.

— Monsieur est-il content ?… demanda madame Vauthier qui aidée de Félicité venait d’apporter la table près de Godefroid.

Godefroid aperçut alors une excellente tasse de café au lait, accompagnée d’une omelette fumante, de beurre frais et de petits radis roses.

— Où diable avez-vous pêché des radis ?… demanda Godefroid.

— Ils m’ont été donnés par monsieur Cartier, répondit-elle, j’en ai fait hommage à monsieur.

— Et que me demandez-vous pour un déjeuner pareil, tous les jours ? dit Godefroid.

— Dame ! monsieur, soyez juste ; il est bien difficile de vous le fournir pour moins de trente sous.

— Va pour trente sous ! dit Godefroid ; mais d’où vient qu’on ne demande que quarante-cinq francs par mois pour le dîner, à côté d’ici, chez madame Machillot, ce qui fait trente sous par jour ?…

— Oh ! quelle différence, monsieur, de préparer à dîner pour quinze personnes ou de vous aller chercher tout ce qu’il faut pour un déjeuner ! Voyez ? un petit pain, des œufs, du beurre, allumer le feu, du sucre, du lait, du café… Songez qu’on vous demande seize sous pour une simple tasse de café au lait sur la place de l’Odéon, et vous donnez un ou deux sous au garçon !… Ici, vous n’avez aucun embarras ; vous déjeunez chez vous en pantoufles.

— Allons, c’est bien, répondit Godefroid.

— Sans madame Cartier qui me fournit le lait et les œufs, les herbes, je ne m’en tirerais pas. Faut aller voir leur établissement, monsieur. Ah ! c’est une belle chose ! Ils occupent cinq garçons jardiniers, et Népomucène y va tirer de l’eau tout l’été ; on me le loue pour arroser… Ils font beaucoup d’argent avec les melons et les fraises… Il paraît que monsieur s’intéresse beaucoup à monsieur Bernard ?… demanda d’une voix douce la veuve Vauthier, car pour répondre comme cela de leurs dettes… Monsieur ne sait peut-être pas tout ce qu’ils doivent… Il y a la dame du cabinet de lecture de la place Saint-Michel qui vient tous les trois ou quatre jours pour trente francs, et elle en a bien besoin. Dieu de Dieu !