Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— C’est la Vauthier qui vient de vous dire que je suis un commis libraire ? demanda Godefroid au vieillard.

— Oui, répondit-il.

— Eh ! bien, monsieur Bernard, pour savoir ce que je puis vous donner au-dessus de ce que vous offrent ces messieurs, il faudrait me dire les conditions que vous avez faites avec eux.

— C’est juste, reprit l’ancien magistrat, qui parut heureux de se voir l’objet de cette concurrence à laquelle il ne pouvait que gagner. Savez-vous quel est l’ouvrage ?

— Non, je sais seulement qu’il y a une bonne affaire.

— Il n’est que neuf heures et demie, ma fille a déjeuné, mon petit-fils Auguste ne revient qu’à dix heures trois quarts. Cartier n’apportera les fleurs que dans une heure ; nous pouvons causer… Monsieur… monsieur qui ?

— Godefroid.

— Monsieur Godefroid, l’œuvre dont il s’agit a été conçue par moi en 1825, à l’époque où, frappé de la destruction persistante de la propriété immobilière, le ministère proposa cette loi sur le droit d’aînesse qui fut rejeté. J’avais remarqué certaines imperfections dans nos codes et dans les institutions fondamentales de la France. Nos codes ont été l’objet de travaux importants ; mais tous ces traités n’étaient que de la jurisprudence ; personne n’avait osé contempler l’œuvre de la Révolution, ou de Napoléon, si vous voulez, dans son ensemble, étudier l’esprit de ces lois, les juger dans leur application. C’est là mon ouvrage en gros ; il est intitulé provisoirement : Esprit des lois nouvelles ; il embrasse les lois organiques aussi bien que les codes, tous les codes ; car nous avons bien plus de cinq codes : aussi mon livre a-t-il cinq volumes et un volume de citations, de notes, de renvois. J’ai pour trois mois encore de travaux. Le propriétaire de cette maison, ancien libraire, sur quelques questions que je lui ai faites, a deviné, flairé, si vous voulez, la spéculation. Moi, primitivement, je ne pensais qu’au bien de mon pays. Ce Barbet m’a circonvenu… Vous allez vous demander comment un libraire a pu entortiller un vieux magistrat ; mais, monsieur, vous connaissez mon histoire, et cet homme est un usurier, il a le coup d’œil et le savoir-faire de ces gens-là… Son argent a toujours talonné mes besoins… Il s’est toujours trouvé le jour où le désespoir me livrait sans défense.

— Eh ! non, mon cher monsieur, dit Godefroid. Il a tout bonnement