Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/186

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des lois, ce savant publiciste, a, dans un cœur de rocher, les délicatesses d’un cœur de mère. Oh ! papa ! papa ! embrasse-moi,… viens ! je le veux, si tu m’aimes.

Le vieillard se leva, se pencha sur le lit, et prit un baiser sur le front blanc, vaste, poétique de sa fille de qui les fureurs ne ressemblaient pas toujours à cette tempête d’affection.

Le vieillard se promena par la chambre, il avait aux pieds des pantoufles brodées par sa fille, et il ne faisait aucun bruit.

— Et quelles sont vos occupations ? demanda-t-elle à Godefroid après une pause.

— Madame, je suis, employé par des personnes pieuses à secourir les gens très-malheureux.

— Ah ! la belle mission, monsieur ! dit-elle. Croyez-vous que l’idée de me vouer à cette occupation m’est venue ?… Mais quelles sont les idées que je n’ai pas eues ? reprit-elle en faisant un mouvement de tête. La douleur est comme un flambeau qui nous éclaire la vie… Si donc je recouvrais la santé !…

— Tu t’amuserais, mon enfant, dit le vieillard.

— Certainement, répondit-elle, j’en ai le désir, mais en aurai-je la faculté ? Mon fils sera, je l’espère, un magistrat digne de ses deux grands-pères, il me quittera. Que faire ? Si Dieu me rend la vie, je la lui consacrerai ! Oh ! après vous avoir donné tout ce que vous en voudrez ! s’écria-t-elle en regardant son père et son fils. Il y a des moments, mon père, où les idées de monsieur de Maistre me travaillent, et je crois que j’expie quelque chose.

— Voilà ce que c’est que de tant lire, s’écria le vieillard évidemment chagriné.

— Ce brave général polonais, mon grand-père, a trempé fort innocemment dans le partage de la Pologne.

— Allons, voilà la Pologne ! reprit Bernard.

— Que veux-tu, papa ! mes souffrances sont infernales, elles donnent horreur de la vie, elles me dégoûtent de moi-même. Eh ! bien, en quoi les ai-je méritées ? De telles maladies ne sont pas un simple dérangement de santé, c’est l’organisation tout entière pervertie, et…

— Chante l’air national que chantait ta pauvre mère, tu feras plaisir à monsieur, à qui j’ai parlé de ta voix, dit le vieillard qui voulait évidemment distraire sa fille des idées dans lesquelles elle s’engageait.