Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/188

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et cette patience de tous les jours à jouer un double rôle, également accablant.

— Eh bien ! lui dit monsieur Bernard, qui le suivit chez lui, vous comprenez, monsieur, la vie que je mène ! C’est à toute heure les émotions du voleur, attentif à tout. Un mot, un geste tuerait ma fille ! Une babiole de moins parmi celles qu’elle a l’habitude de voir révélerait tout à cet esprit qui voit à travers les murs.

— Monsieur, répondit Godefroid, lundi Halpersohn prononcera sur votre fille ; car il est arrivé. Je doute que la science puisse rétablir ce corps…

— Oh ! je n’y compte pas, reprit l’ancien magistrat ; mais qu’on lui rende la vie supportable… Je comptais, monsieur, sur votre intelligence, et je voulais vous remercier, car vous avez tout compris… Ah ! voilà l’accès ! s’écria-t-il en entendant un cri à travers les murs ; elle a excédé ses forces !

Et, serrant la main de Godefroid, le vieillard courut chez lui.

À huit heures du matin, le lendemain, Godefroid frappait à la porte du célèbre médecin polonais. Il fut conduit par un valet de chambre au premier étage du petit hôtel qu’il avait pu examiner pendant le temps que le portier mit à trouver et à prévenir le domestique.

Heureusement, comme il s’en doutait, l’exactitude de Godefroid lui sauva l’ennui d’attendre ; il était, sans doute, le premier venu. D’une antichambre fort simple, il passa dans un grand cabinet où il aperçut un vieillard en robe de chambre, qui fumait une longue pipe. La robe de chambre, en alépine noire, devenue luisante, portait la date de l’émigration polonaise.

— Qu’y a-t-il pour votre service ? lui dit le médecin juif, car vous n’êtes pas malade !

Et il arrêta sur Godefroid un regard qui avait l’expression curieuse et piquante des yeux du juif polonais, ces yeux qui semblent avoir des oreilles. Halpersohn était, au grand étonnement de Godefroid, un homme de cinquante-six ans, à petites jambes turques et dont le buste était large, puissant. Il y avait en cet homme quelque chose d’oriental, car sa figure avait dû, dans la jeunesse, être fort belle ; il en restait un nez hébraïque, long et recourbé comme un sabre de Damas. Le front vraiment polonais, large et noble, mais ridé comme un papier froissé, rappelait celui de saint Joseph des vieux