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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/191

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Cette simplicité, qui tenait presque de la nudité, frappa beaucoup Godefroid, pour qui tout voir fut l’affaire d’un coup d’œil, et il recouvra son sang-froid.

— Monsieur, je me porte parfaitement bien : aussi ne viens-je pas pour moi, mais pour une femme à qui vous auriez dû, depuis longtemps, faire une visite. Il s’agit d’une dame qui demeure sur le boulevard du Montparnasse…

— Ah ! oui, cette dame m’a déjà plusieurs fois envoyé son fils… Eh ! bien, monsieur, qu’elle vienne à ma consultation.

— Qu’elle vienne ! répéta Godefroid indigné ; mais, monsieur, elle n’est pas transportable de son lit sur un fauteuil ; il faut la soulever avec des sangles.

— Vous n’êtes pas médecin, monsieur ? demanda le docteur juif avec une singulière grimace qui rendit son masque encore plus méchant qu’il ne l’était.

— Si le baron de Nucingen vous faisait dire qu’il souffre et veut vous visiter, répondriez-vous : Qu’il vienne !

— J’irais, répliqua froidement le juif en lançant un jet de salive dans un crachoir hollandais en acajou plein de sable.

— Vous iriez, reprit doucement Godefroid, parce que le baron de Nucingen a deux millions de rentes, et…

— Le reste ne fait rien à l’affaire, j’irais.

— Eh bien ! monsieur, vous viendrez voir la malade du boulevard Montparnasse, par la même raison. Sans avoir la fortune du baron de Nucingen, je suis ici pour vous dire que vous mettrez vous-même le prix à la guérison, ou à vos soins si vous échouez… Je suis prêt à vous payer d’avance ; mais comment, monsieur, vous qui êtes un émigré polonais, un communiste, je crois, ne feriez-vous pas un sacrifice à la Pologne ? car cette dame est la petite-fille du général Tarlowski, l’ami du prince Poniatowski.

— Monsieur, vous êtes venu pour me demander de guérir cette dame, et non pour me donner des conseils. En Pologne, je suis Polonais ; à Paris, je suis Parisien. Chacun fait le bien à sa manière, et croyez que l’avidité qu’on me prête a sa raison. Le trésor que j’amasse a sa destination ; elle est sainte. Je vends la santé : les riches peuvent la payer, je la leur fais acheter. Les pauvres ont leurs médecins. Si je n’avais pas un but, je n’exercerais pas la médecine. Je vis sobrement et je passe mon temps à courir ; je suis paresseux et j’étais joueur… Concluez, jeune