Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/242

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par les yeux d’une certaine personne, on envierait aux oiseaux leurs ailes pour retourner aux perpétuels, aux émouvants spectacles de Paris et à ses déchirantes luttes.

La longue lettre écrite par le journaliste doit faire supposer aux esprits pénétrants qu’il avait atteint moralement et physiquement à cette phase particulière aux passions satisfaites, aux bonheurs assouvis, et que tous les volatiles engraissés par force représentent parfaitement quand, la tête enfoncée dans leur gésier qui bombe, ils restent sur leurs pattes, sans pouvoir ni vouloir regarder le plus appétissant manger. Aussi, quand sa formidable lettre fut achevée, Blondet éprouva-t-il le besoin de sortir des jardins d’Armide et d’animer la mortelle lacune des trois premières heures de la journée ; car, entre le déjeûner et le dîner, le temps appartenait à la châtelaine, qui savait le rendre court. Garder, comme le fit madame de Montcornet, un homme d’esprit pendant un mois à la campagne sans avoir vu sur son visage le rire faux de la satiété, sans avoir surpris le bâillement caché d’un ennui qui se devine toujours, est un des plus beaux triomphes d’une femme. Une affection qui résiste à ces sortes d’essais doit être éternelle. On ne comprend point que les femmes ne se servent pas de cette épreuve pour juger leurs amants, il est impossible à un sot, à un égoïste, à un petit esprit, d’y résister. Philippe II lui-même, l’Alexandre de la dissimulation, aurait dit son secret durant un mois de tête à tête à la campagne. Aussi les rois vivent-ils dans une agitation perpétuelle, et ne donnent-ils à personne le droit de les voir pendant plus d’un quart d’heure.

Nonobstant les délicates attentions d’une des plus charmantes femmes de Paris, Emile Blondet retrouva donc le plaisir oublié depuis longtemps de l’école buissonnière, quand, sa lettre finie, il se fit éveiller par François, le premier valet de chambre attaché spécialement à sa personne, avec l’intention d’explorer la vallée de l’Avonne.

L’Avonne est la petite rivière qui, grossie au-dessus de Couches par de nombreux ruisseaux, dont quelques-uns sourdent aux Aigues, va se jeter à La-Ville-aux-Fayes dans un des plus considérables affluents de la Seine. La disposition géographique de l’Avonne, flottable pendant environ quatre lieues, avait depuis l’invention de Jean Rouvet, donné toute leur valeur aux forêts des Aigues, de Soulanges et de Rouquerolles situées sur la crête des