feutre grossier, dont les bords tenaient à la calotte par des reprises, garantissait des intempéries cette tête presque chauve.
Il s’en échappait deux flocons de cheveux, qu’un peintre aurait payés quatre francs à l’heure pour pouvoir copier cette neige éblouissante et disposée comme celle de tous les Pères-Eternels classiques. A la manière dont les joues rentraient en continuant la bouche, on devinait que le vieillard édenté s’adressait plus souvent au Tonneau qu’à la Huche. Sa barbe blanche, clair-semée donnait quelque chose de menaçant à son profil par la raideur des poils coupés court. Ses yeux, trop petits pour son énorme visage, inclinés comme ceux du cochon, exprimaient à la fois la ruse et la paresse ; mais en ce moment ils jetaient comme une lueur, tant le regard jaillissait droit sur la rivière. Pour tout vêtement, ce pauvre homme portait une vieille blouse, autrefois bleue, et un pantalon de cette toile grossière qui sert à Paris à faire des emballages. Tout citadin aurait frémi de lui voir aux pieds des sabots cassés, sans même un peu de paille pour en adoucir les crevasses. Assurément, la blouse et le pantalon n’avaient de valeur que pour la cuve d’une papeterie.
En examinant ce Diogène campagnard, Blondet admit la possibilité du type de ces paysans qui se voient dans les vieilles tapisseries, les vieux tableaux, les vieilles sculptures, et qui lui paraissait jusqu’alors fantastique. Il ne condamna plus absolument l’École du Laid en comprenant que, chez l’homme, le Beau n’est qu’une flatteuse exception, une chimère à laquelle il s’efforce de croire.
— Quelles peuvent être les idées, les mœurs d’un pareil être, à quoi pense-t-il ? se disait Blondet pris de curiosité. Est-ce là mon semblable ? Nous n’avons de commun que la forme, et encore !…
Il étudiait cette rigidité particulière au tissu des gens qui vivent en plein air, habitués aux intempéries de l’atmosphère, à supporter les excès du froid et du chaud, à tout souffrir enfin, qui font de leur peau des cuirs presque tannés, et de leurs nerfs un appareil contre la douleur physique, aussi puissant que celui des Arabes ou des Russes.
— Voilà les Peaux-Rouges de Cooper, se dit-il, il n’y a pas besoin d’aller en Amérique pour observer des Sauvages.
Quoique le Parisien ne fût qu’à deux pas, le vieillard ne tourna