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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/260

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du temps il baguenauda, riant avec les femmes de madame, et surtout avec mademoiselle Cochet, la femme de chambre, quoiqu’elle fût laide comme toutes les femmes de chambre des belles actrices. Rire avec mademoiselle Cochet signifiait tant de choses que Soudry, l’heureux gendarme dont il est question dans la lettre de Blondet, regardait encore Tonsard de travers, après vingt-cinq ans. L’armoire en noyer, le lit à colonnes et à bonnes-grâces, ornements de la chambre à coucher, furent sans doute le fruit de quelque risette.

Une fois en possession de son champ, au premier qui lui dit que madame le lui avait donné, Tonsard répondit : — " Je l’ai parbleu bien acheté et bien payé. Est-ce que les bourgeois nous donnent jamais quelque chose ? est-ce donc rien que cent journées ? Ca me coûte trois cents francs, et c’est tout cailloux ! " Le propos ne dépassa point la région populaire.

Tonsard se bâtit alors cette maison lui-même, en prenant les matériaux, de ci et de là, se faisant donner un coup de main par l’un et l’autre, grappillant au château les choses de rebut ou les demandant et les obtenant toujours. Une mauvaise porte de montreuil démolie pour être reportée plus loin, devint celle de l’étable. La fenêtre venait d’une vieille serre abattue. Les débris du château servirent donc à élever cette fatale chaumière.

Sauvé de la réquisition par Gaubertin, le régisseur des Aigues dont le père était accusateur public au Département, et qui d’ailleurs ne pouvait rien refuser à mademoiselle Cochet, Tonsard se maria dès que sa maison fut terminée et sa vigne en rapport. Garçon de vingt-trois ans, familier aux Aigues, ce drôle, à qui madame venait de donner un arpent de terre et qui paraissait travailleur, eut l’art de faire sonner haut toutes ses valeurs négatives, et il obtint la fille d’un fermier de la terre de Ronquerolles, située au delà de la forêt des Aigues.

Ce fermier tenait une ferme à moitié qui dépérissait entre ses mains, faute d’une fermière. Veuf et inconsolable, il tâchait, à la manière anglaise, de noyer ses soucis dans le vin ; mais quand il ne pensa plus à sa pauvre chère défunte, il se trouva marié, selon une plaisanterie de village, avec la Boisson. En peu de temps, de fermier le beau-père redevint ouvrier, mais ouvrier buveur et paresseux, méchant et hargneux, capable de tout comme les gens du peuple qui, d’une sorte d’aisance, retombent dans la misère.