Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/269

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défigurés en tronquant la communication des fosses nasales où l’air passe alors péniblement. Ses dents supérieures entrecroisées, laissaient d’autant mieux voir ce défaut, terrible au dire de Lavater, que ses dents offraient la blancheur de celles d’un chien. Sans la fausse bonhomie du fainéant et le laisser-aller du gobelotteur de campagne, cet homme eût effrayé les gens les moins perspicaces.

Si le portrait de Tonsard, si la description de son cabaret, celle de son beau-père apparaissent en première ligne, croyez bien que cette place est due à l’homme, au cabaret et à la famille. D’abord, cette existence, si minutieusement expliquée, est le type de celle que menaient cent autres ménages dans la vallée des Aigues. Puis, Tonsard, sans être autre chose que l’instrument de haines actives et profondes, eut une influence énorme dans la bataille qui devait se livrer, car il fut le conseil de tous les plaignants de la basse classe. Son cabaret servit constamment, comme on va le voir, de rendez-vous aux assaillants, de même qu’il devint leur chef, par suite de la terreur qu’il inspirait à cette vallée, moins par ses actions que par ce qu’on attendait toujours de lui. La menace de ce braconnier étant aussi redoutée que le fait, il n’avait jamais eu besoin d’en exécuter aucune.

Toute révolte, ouverte ou cachée a son drapeau. Le drapeau des maraudeurs, des fainéants, des bavards, était donc la terrible perche du Grand-I-Vert. On s’y amusait ! chose aussi recherchée et aussi rare à la campagne qu’à la ville. Il n’existait d’ailleurs pas d’auberges sur une route cantonale de quatre lieues que les voitures chargées faisaient facilement en trois heures ; aussi tous ceux qui allaient de Couches à La-Ville-aux-Fayes, s’arrêtaient-ils au Grand-I-Vert, ne fût-ce que pour se rafraîchir. Enfin, le meunier des Aigues, adjoint du maire, et ses garçons y venaient. Les domestiques du général eux-mêmes ne dédaignaient pas ce bouchon, que les filles à Tonsard rendaient attrayant, en sorte que le Grand-I-Vert communiquait souterrainement avec le château par les gens et pouvait en savoir tout ce qu’ils en savaient. Il est impossible, ni par le bienfait, ni par l’intérêt, de rompre l’accord éternel des domestiques avec le peuple. La livrée sort du peuple, elle lui reste attachée. Cette funeste camaraderie explique déjà la réticence que contenait le dernier mot dit au perron par Charles à Blondet.