Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/296

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pas savants. Faut pas nous faire nout ’procès à tout moment. Nous vous laissons tranquilles, laissez-nous vivre… Autrement, si ça continue, vous serez forcés de nous nourrir dans vos prisons où l’on est mieux que sur nout ’paille. Vous voulez rester les maîtres, nous serons toujours ennemis, aujourd’hui comme il y a trente ans. Vous avez tout, nous n’avons rien, vous ne pouvez pas encore prétendre à notre amitié !

— Voilà ce qui s’appelle une déclaration de guerre, dit le général.

— Monseigneur, répliqua Fourchon, quand les Aigues appartenaient à s’te pauvre madame, que Dieu veuille prendre soin de son âme, puisqu’il paraît qu’elle a chanté l’iniquité dans sa jeunesse, nous étions heureux. Alle nous laissait ramasser notre vie dans ses champs, et notre bois dans ses forêts, elle n’en était pas plus pauvre pour ça ! Et vous, au moins aussi riche qu’elle, vous nous pourchassez, ni plus ni moins que des bêtes féroces et vous traînez le petit monde au tribunau ! .. Eh ! bien, ça finira mal ! vous serez cause de quelque mauvais coup ! Je viens de voir votre garde, ce gringalet de Vatel qui a failli tuer une pauvre vieille femme pour un brin de bois. On fera de vous un ennemi du peuple, et l’on s’aigrira contre vous dans les veillées, l’on vous maudira tout aussi dru qu’on bénissait feu madame !… La malédiction des pauvres, monseigneur, ça pousse ! et ça devient plus grand que le plus grand ed ’vos chênes, et le chêne fournit la potence… Personne ici ne vous dit la vérité, le voilà, la varité. J’attends tous les matins la mort, je ne risque pas grand’chose à vous la donner par-dessus le marché, la varté !… Moi qui fais danser les paysans aux grandes fêtes, en accompagnant Vermichel au Café de la Paix, à Soulanges, j’entends leurs discours ; eh ! bien, ils sont mal disposés, et ils vous rendront le pays difficile à habiter. Si votre damné Michaud ne change pas, on vous forcera ed ’ l’changer… C’t avis-là et la loute, ça vaut ben vingt francs, allez !…

Pendant que le vieillard disait cette dernière phrase, un pas d’homme se fit entendre, et celui que Fourchon menaçait ainsi se montra sans être annoncé. Au regard que Michaud lança sur l’orateur des pauvres, il fut facile de voir que la menace était arrivée à son oreille, et toute l’audace de Fourchon tomba. Ce regard produisit sur le pêcheur de loutre l’effet du gendarme sur le voleur. Fourchon se savait en faute, Michaud semblait avoir le droit de lui