Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/298

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Le garde-général attirait tout d’abord l’attention par une figure heureuse, d’un ovale parfait, fine de contours, que le nez partageait également, perfection qui manque à la plupart des figures françaises. Tous les traits, quoique réguliers, ne manquaient pas d’expression, peut-être à cause d’un teint harmonieux où dominaient ces tons d’ocre et de rouge, indices du courage physique. Les yeux brun-clair, vifs et perçants, ne marchandaient pas l’expression de la pensée, ils regardaient toujours en face. Le front, large et pur, était encore mis en relief par des cheveux noirs abondants. La probité, la décision, une sainte confiance animaient cette belle figure où le métier des armes avait laissé quelques rides sur le front. Le soupçon, la défiance s’y lisaient aussitôt formés. Comme tous les hommes triés pour la cavalerie d’élite, sa taille, belle et svelte encore, pouvait faire dire du garde qu’il était bien découplé. Michaud, qui gardait ses moustaches, ses favoris et un collier de barbe, rappelait le type de cette figure martiale que le déluge de peintures et de gravures patriotiques a failli ridiculiser. Ce type a eu le défaut d’être commun dans l’armée française ; mais peut-être aussi la continuité des mêmes émotions, les souffrances du bivouac, dont ne furent exempts ni les grands ni les petits, les efforts, semblables chez les chefs et les soldats sur le champ de bataille, ont-ils contribué à rendre cette physionomie uniforme. Michaud entièrement vêtu de drap bleu de roi, conservait le col de satin noir, et les bottes du militaire, comme il en offrait l’attitude un peu raide. Les épaules s’effaçaient, et le buste était tendu, comme si Michaud se trouvait encore sous les armes. Le ruban rouge de la Légion-d’Honneur fleurissait sa boutonnière. Enfin, pour achever en un seul mot au moral cette esquisse purement physique, si le régisseur, depuis son entrée en fonctions, n’avait jamais manqué de dire monsieur le comte à son patron, jamais Michaud n’avait nommé son maître autrement que mon général.

Blondet échangea derechef avec l’abbé Brossette un regard qui voulait dire : " Quel contraste ! " en lui montrant le régisseur et le garde-général ; puis, pour savoir si le caractère, la parole, l’expression s’harmoniaient avec cette stature, cette physionomie et cette contenance, il regarda Michaud en lui disant :

— Mon Dieu ! je suis sorti ce matin de bonne heure, et j’ai trouvé vos gardes dormant encore.

— A quelle heure ? demanda l’ancien militaire inquiet.