Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/380

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à la fille de Gaillard, le garde de la porte de Couches dont la vache avait fait un veau, la Péchina ne se hasarda point sans procéder à une enquête comme une chatte qui s’aventure hors de sa maison. Elle ne vit pas trace de Nicolas, elle écouta le silence, comme dit le poète, et n’entendant rien, elle pensa qu’à cette heure, le drôle était à l’ouvrage. Les paysans commençaient à scier leurs seigles, car ils moissonnent les premiers leurs parcelles, afin de pouvoir gagner les fortes journées données aux moissonneurs. Mais Nicolas n’était pas homme à pleurer la paie de deux jours, d’autant plus qu’il quittait le pays après la foire de Soulanges, et que, devenir soldat, c’est pour le paysan entrer dans une nouvelle vie.

Quand la Péchina, sa cruche sur la tête, parvint à la moitié de son chemin, Nicolas dégringola comme un chat sauvage, du haut d’un orme où il s’était caché dans le feuillage, et tomba comme la foudre aux pieds de la Péchina, qui jeta sa cruche et se fia, pour gagner le pavillon, à son agilité. A cent pas de là, Catherine Tonsard, qui faisait le guet, déboucha du bois, et heurta si violemment la Péchina qu’elle la jeta par terre. La violence du coup étourdit l’enfant, Catherine la releva, la prit dans ses bras et l’emmena dans le bois, au milieu d’une petite prairie où bouillonne la source du Ruisseau d’Argent.

Catherine, grande et forte, en tout point semblable aux filles que les sculpteurs et les peintres prennent, comme jadis la République, pour modèle de la Liberté, charmait la jeunesse de la vallée d’Avonne par ce même sein volumineux, ces mêmes jambes musculeuses, cette même taille à la fois robuste et flexible, ces bras charnus, cet œil allumé d’une paillette de feu, par l’air fier, les cheveux tordus à grosses poignées, le front masculin, la bouche rouge, aux lèvres retroussées par un sourire quasi féroce, qu’Eugène Delacroix, David d’Angers ont tous deux admirablement saisis et représentés. Image du Peuple, l’ardente et brune Catherine vomissait des insurrections par ses yeux d’un jaune-clair, pénétrants et d’une insolence soldatesque. Elle tenait de son père une violence telle que toute la famille, excepté Tonsard, la craignait dans le cabaret.

— Eh ! bien, comment te trouves-tu, ma vieille ? dit Catherine à la Péchina.

Catherine avait assis à dessein sa victime sur un tertre d’une