Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/383

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Socquard, en pleine danse ; mon grand’père, qui jouait de la clarinette, en a souri. Tivoli m’a paru grand et beau comme le ciel ; mais c’est que, ma fille, c’est éclairé tout en quinquets à glaces, on peut se croire en paradis. Les messieurs de Soulanges, d’Auxerre et de La-Ville-aux-Fayes sont tous là. Depuis cette soirée, j’ai toujours aimé l’endroit où cette phrase a sonné dans mes oreilles, comme une musique militaire. On donnerait son éternité pour entendre dire cela de soi, mon enfant, par l’homme qu’on aime ?…

— Mais, oui, peut-être, répondit la Péchina d’un air pensif.

— Viens-y donc, écouter cette bénédiction de l’homme, elle ne te manquera pas ! s’écria Catherine. Dam ! il y a de la chance, quand on est brave comme toi, de rencontrer un beau sort !… Le fils à monsieur Lupin, Amaury qu’a des habits à boutons d’or, serait capable de te demander en mariage ! Ce n’est pas tout, va ! Si tu savais ce qu’on trouve là contre le chagrin. Tiens, le vin cuit de Socquard vous ferait oublier le plus grand des malheurs. Figure-toi que ça vous donne des rêves ! On se sent plus légère… Tu n’as jamais bu de vin cuit !… Eh ! bien, tu ne connais pas la vie !

Ce privilége, acquis aux grandes personnes de se gargariser de temps en temps avec un verre de vin cuit, excite à un si haut degré la curiosité des enfants au-dessous [ Au-dessous : Erreur possible pour au-dessus (N.d.E.)] de douze ans, que Geneviève avait une fois trempé ses lèvres dans un petit verre de vin cuit, ordonné par le médecin à son grand’père malade. Cette épreuve avait laissé dans le souvenir de la pauvre enfant une sorte de magie qui peut expliquer l’attention que Catherine obtint, et sur laquelle comptait cette atroce fille pour réaliser le plan dont une partie avait déjà réussi. Sans doute, elle voulait faire arriver la victime, étourdie par sa chute, à cette ivresse morale, si dangereuse sur des filles qui vivent aux champs et dont l’imagination, privée de pâture, n’en est que plus ardente, aussitôt qu’elle trouve à s’exercer. Le vin cuit, qu’elle tenait en réserve, devait achever de faire perdre la tête à sa victime.

— Qu’y a-t-il donc là-dedans ? demanda la Péchina.

— Toutes sortes de choses !… répondit Catherine en regardant de côté pour voir si son frère arrivait, d’abord des machins qui viennent des Indes, de la cannelle, des herbes qui vous changent, par enchantement. Enfin, vous croyez tenir ce que vous aimez ! ça vous rend heureuse ! On se voit riche, on se moque de tout !

— J’aurais peur, dit la Péchina, de boire du vin cuit à la danse !