Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/415

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Grande, sèche et maigre, madame Rigou, femme à figure jaune, colorée aux pommettes, la tête toujours enveloppée d’un foulard et portant le même jupon pendant toute l’année, ne quittait pas sa maison deux heures par mois et nourrissait son activité par tous les soins qu’une servante dévouée donne à une maison. Le plus habile observateur n’aurait pas trouvé trace de la magnifique taille, de la fraîcheur à la Rubens, de l’embonpoint splendide, des dents superbes, des yeux de vierge qui jadis recommandèrent la jeune fille à l’attention du curé Niseron. La seule et unique couche de sa fille, madame Soudry la jeune, avait décimé les dents, fait tomber les cils, terni les yeux, gauchi la taille, flétri le teint. Il semblait que le doigt de Dieu se fût appesanti sur l’épouse du prêtre. Comme toutes les riches ménagères de la campagne, elle jouissait de voir ses armoires pleines de robes de soie, ou en pièces ou faites et neuves, de dentelles, de bijoux qui ne lui servaient jamais qu’à faire commettre le péché d’envie ; à faire souhaiter sa mort aux jeunes servantes de Rigou. C’était un de ces êtres moitié femmes, moitié bestiaux, nés pour vivre instinctivement. Cette ex-belle Arsène étant désintéressée, le legs du feu curé Niseron serait inexplicable sans le curieux événement qui l’inspira, et qu’il faut rapporter pour l’instruction de l’immense tribu des Héritiers.

Madame Niseron, la femme du vieux sacristain, comblait d’attentions l’oncle de son mari, car l’imminente succession d’un vieillard de soixante-douze ans, estimée à quarante et quelques mille livres, devait mettre la famille de l’unique héritier dans une aisance assez impatiemment attendue par feu madame Niseron, laquelle, outre son fils, jouissait d’une charmante petite fille, espiègle, innocente, une de ces créatures qui ne sont peut-être accomplies que parce qu’elles doivent disparaître, car elle mourut à quatorze ans des pâles couleurs, le nom populaire de la chlorose. Feu follet du presbytère, cette enfant allait chez son grand-oncle le curé comme chez elle, elle y faisait la pluie et le beau temps, elle aimait mademoiselle Arsène, la jolie servante que son oncle put prendre en 1788, à la faveur de la licence introduite dans la discipline par les premiers orages révolutionnaires. Arsène, nièce de la vieille gouvernante du curé, fut appelée pour la suppléer, car en se sentant mourir, la vieille mademoiselle Pichard voulait sans doute faire transporter ses droits à la belle Arsène.

En 1791, au moment où le curé Niseron offrit un asile à Dom