Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/434

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elle tient maison ouverte ; on est admirablement chez elle. Elle sait faire les honneurs de sa fortune. Elle a le petit mot pour rire. Et quelle belle argenterie ! C’est une maison comme il n’y en a qu’à Paris !…

L’argenterie donnée par Bouret à mademoiselle Laguerre, une magnifique argenterie du fameux Germain, avait été littéralement volée par la Soudry. A la mort de mademoiselle Laguerre, elle la mit tout simplement dans sa chambre, et elle ne put être réclamée par des héritiers qui ne savaient rien des valeurs de la succession.

Depuis quelque temps, les douze ou quinze personnes qui représentaient la première société de Soulanges parlaient de madame Soudry comme de l’amie intime de mademoiselle Laguerre, en se cabrant au mot de femme de chambre, et prétendant qu’elle s’était immolée à la cantatrice en se faisant la compagne de cette grande actrice.

Chose étrange et vraie ! toutes ces illusions, devenues des réalités, se propageaient chez madame Soudry jusque dans les régions positives du cœur ; elle régnait tyranniquement sur son mari.

Le gendarme, obligé d’aimer une femme plus âgée que lui de dix ans, et qui gardait le maniement de sa fortune, l’entretenait dans les idées qu’elle avait fini par concevoir de sa beauté. Néanmoins, quand on l’enviait, quand on lui parlait de son bonheur, le gendarme souhaitait quelquefois qu’on fût à sa place ; car, pour cacher ses peccadilles, il prenait des précautions, comme on en prend avec une jeune femme adorée, et il n’avait pu introduire que depuis quelques jours une jolie servante au logis.

Le portrait de cette reine, un peu grotesque, mais dont plusieurs exemplaires se rencontraient encore à cette époque en province, les uns plus ou moins nobles, les autres tenant à la haute finance, témoin une veuve de fermier-général qui se mettait encore des rouelles de veau sur les joues, en Touraine ; ce portrait, peint d’après nature, serait incomplet sans les brillants dans lesquels il était enchâssé, sans les principaux courtisans dont l’esquisse est nécessaire, ne fût-ce que pour expliquer combien sont redoutables de pareils lilliputiens, et quels sont au fond des petites villes les organes de l’opinion publique. Qu’on ne s’y trompe pas ! il est des localités qui, pareilles à Soulanges, sans être un bourg, un village, ni une petite ville, tiennent de la ville, du village et du bourg. Les physionomies des habitants y sont tout