Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/45

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lin embrassa le préau, vit les surveillants sous les arcades, et les montra railleusement à ses trois compagnons.

— N’y a-t-il pas ici des cuisiniers ? Allumez vos clairs, et remouchez ! (voyez et observez !) Ne me conobrez pas, épargnons le poitou et engantez-moi en sanglier (ne me connaissez plus, prenons nos précautions et traitez-moi en prêtre), ou je vous effondre, vous, vos largues et votre aubert (je vous ruine, vous, vos femmes et votre fortune).

T’as donc tafe de nozigues ? (tu te méfies donc de nous ?) dit Fil-de-Soie. Tu viens cromper ta tante (sauver ton ami).

— Madeleine est paré pour la placarde de vergne (est prêt pour la place de Grève), dit La Pouraille.

— Théodore ! dit Jacques Collin en comprimant un bond et un cri.

Ce fut le dernier coup de la torture de ce colosse détruit.

— On va le buter, répéta La Pouraille, il est depuis deux mois gerbé à la passe (condamné à mort).

Jacques Collin, saisi par une défaillance, les genoux presque coupés, fut soutenu par ses trois compagnons, et il eut la présence d’esprit de joindre ses mains en prenant un air de componction. La Pouraille et le Biffon soutinrent respectueusement le sacrilège Trompe-la-Mort, pendant que Fil-de-Soie courait vers le surveillant en faction à la porte du guichet qui mène au parloir.

— Ce vénérable prêtre voudrait s’asseoir, donnez une chaise pour lui.

Ainsi, le coup monté par Bibi-Lupin manquait. Trompe-la-Mort, de même que Napoléon reconnu par ses soldats, obtenait soumission et respect des trois forçats. Deux mots avaient suffi. Ces deux mots étaient : vos largues et votre aubert, vos femmes et votre argent, le résumé de toutes les affections vraies de l’homme. Cette menace fut pour les trois forçats l’indice du suprême pouvoir, le dab tenait toujours leur fortune entre ses mains. Toujours tout-puissant au dehors, leur dab n’avait pas trahi, comme de faux frères le disaient. La colossale renommée d’adresse et d’habileté de leur chef stimula, d’ailleurs, la curiosité des trois forçats ; car, en prison, la curiosité devient le seul aiguillon de ces âmes flétries. La hardiesse du déguisement de Jacques Collin, conservé jusque sous les verrous de la Conciergerie, étourdissait d’ailleurs les trois criminels.