Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/471

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l’Avonne, devant le pavillon du rendez-vous de chasse, et le chemin de Cerneux mène au delà de la route royale, en sorte qu’entre les quatre chemins des Aigues, de La-Ville-aux-Fayes, de Ronquerolles et de Cerneux, le meurtrier peut se choisir une retraite et laisser dans l’incertitude ceux qui se mettraient à sa poursuite.

— Je vais te laisser à l’entrée du village, dit Rigou quand il aperçut les premières maisons de Blangy.

— A cause d’Annette, vieux lâche ! s’écria Marie. La renverrez-vous bientôt, celle-là, v’là trois ans que vous l’avez !… Ce qui m’amuse, c’est que votre vieille se porte bien… le bon Dieu se venge…


IV. L’Idole d’une ville

Le prudent usurier avait contraint sa femme et Jean de se coucher et de se lever au jour, en leur prouvant que la maison ne serait jamais attaquée s’il veillait, lui, jusqu’à minuit, et s’il se levait tard. Non-seulement il avait ainsi conquis sa tranquillité de sept heures du soir jusqu’à cinq heures du matin, mais encore il avait habitué sa femme et Jean à respecter son sommeil et celui de l’Agar, dont la chambre était située derrière la sienne.

Aussi le lendemain matin, vers six heures et demie, madame Rigou, qui veillait elle-même aux soins de la basse-cour, conjointement avec Jean, vint-elle frapper timidement à la porte de la chambre de son mari.

— Bon ami, dit-elle, tu m’as recommandé de t’éveiller !

Le son de cette voix, l’attitude de la femme, son air craintif en obéissant à un ordre dont l’accomplissement pouvait être mal reçu, peignaient l’abnégation profonde dans laquelle vivait cette pauvre créature, et l’affection qu’elle portait à cet habile tyranneau.

— C’est bien ! cria Rigou.

— Faut-il éveiller Annette ? demanda-t-elle.

— Non, laissez-la dormir !… Elle a été sur pied toute la nuit ! dit-il sérieusement.

Cet homme était toujours sérieux, même quand il se permettait une plaisanterie. Annette avait en effet ouvert mystérieusement la porte à Sibilet, à Fourchon, à Catherine Tonsard, venus tous à des heures différentes, entre onze heures et une heure.

Dix minutes après, Rigou vêtu plus soigneusement qu’à l’ordinaire