Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/535

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femme : ─ Ma bonne, demain… (quelquefois elle le sait deux jours à l’avance), je dois me lever de grand matin. Malheureux Adolphe, vous avez surtout prouvé la gravité de ce rendez-vous : ─ Il s’agit de… et de… et encore de…, enfin de…

Deux heures avant le jour, Caroline vous réveille tout doucement, et vous dit tout doucement :

— Mon ami, mon ami !…

— Quoi ? le feu, le…

— Non, dors, je me suis trompée, l’aiguille était là, tiens ! Il n’est que quatre heures, tu as encore deux heures à dormir.

Dire à un homme : vous n’avez plus que deux heures à dormir, n’est-ce pas, en petit, comme quand on dit à un criminel : Il est cinq heures du matin, ce sera pour sept heures et demie ? Ce sommeil est troublé par une pensée grise, ailée qui vient se cogner aux vitres de votre cervelle, à la façon des chauves-souris.

Une femme est alors exacte comme un démon venant réclamer une âme qui lui a été vendue. Quand cinq heures sonnent, la voix de votre femme, hélas ! trop connue, résonne dans votre oreille ; elle accompagne le timbre, et vous dit avec une atroce douceur : ─ Adolphe, voilà cinq heures, lève-toi, mon ami.

— Ouhouhi… Ououhoin…

— Adolphe, tu manqueras ton affaire, c’est toi-même qui l’as dit.

— Ououhouin, ouhouhi… Vous vous roulez la tête avec désespoir.

— Allons, mon ami, je t’ai tout apprêté hier… Mon chat, tu dois partir ; veux-tu manquer le rendez-vous ? Allons donc, lève-toi donc, Adolphe ! va-t’en. Voilà le jour.

Caroline se lève en rejetant les couvertures : elle tient à vous montrer qu’elle peut se lever, sans barguigner. Elle va ouvrir les volets, elle introduit le soleil, l’air du matin, le bruit de la rue. Elle revient.

— Mais, mon ami, lève-toi donc ! Qui jamais aurait pu te croire sans caractère ? Oh ! les hommes !… Moi, je ne suis qu’une femme, mais ce que je dis est fait.

Vous vous levez en grommelant, en maudissant le sacrement du mariage. Vous n’avez pas le moindre mérite dans votre héroïsme ; ce n’est pas vous, mais votre femme qui s’est levée. Caroline vous trouve tout ce qu’il vous faut avec une promptitude désespérante ; elle prévoit tout, elle vous donne un cache-nez en hiver, une che-