Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/609

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du talent, il peut aller chez deux ou trois de nos grands poètes, il se permet dans les cafés d’appeler par leur petit nom les deux ou trois femmes célèbres à juste titre de notre époque ; il est d’ailleurs au mieux avec les bas-bleus du second ordre, qui devraient être appelées des chaussettes, et il en est aux poignées de main et aux petits verres d’absinthe avec les astres des petits journaux.

Ceci est l’histoire des médiocrités en tout genre, auxquelles il a manqué ce que les titulaires appellent le bonheur. Ce bonheur, c’est la volonté, le travail continu, le mépris de la renommée obtenue facilement, une immense instruction, et la patience qui, selon Buffon, serait tout le génie, mais qui certes en est la moitié.

Vous n’apercevez pas encore trace de petite misère pour Caroline. Vous croyez que cette histoire de cinq cents jeunes gens occupés à polir en ce moment les pavés de Paris est écrite en façon d’avis aux familles des quatre-vingt-six départements ; mais lisez ces deux lettres échangées entre deux amies différemment mariées, vous comprendrez qu’elle était nécessaire, autant que le récit par lequel jadis commençait tout bon mélodrame, et nommé l’avant-scène… Vous devinerez les savantes manœuvres du paon parisien faisant la roue au sein de sa ville natale et fourbissant dans des arrière-pensées matrimoniales les rayons d’une gloire qui, semblables à ceux du soleil, ne sont chauds et brillants qu’à de grandes distances.




DE MADAME CLAIRE DE LA ROULANDIERE, NÉE JUGAULT,
À MADAME ADOLPHE DE CHODOREILLE, NÉE HEURTAUT.


« Viviers.

» Tu ne m’as pas encore écrit, ma chère Caroline, et c’est bien mal à toi. N’était-ce pas à la plus heureuse de commencer et de consoler celle qui restait en province !

» Depuis ton départ pour Paris, j’ai donc épousé monsieur de La Roulandière, le président du tribunal. Tu le connais, et tu sais si je puis être satisfaite en ayant le cœur saturé de nos idées. Je n’ignorais pas mon sort : je vis entre l’ancien président, l’oncle de mon mari, et ma belle-mère, qui de l’ancienne société parlementaire d’Aix n’a gardé que la morgue, la sévérité de mœurs. Je suis rarement seule, je ne sors qu’accompagnée de ma belle-mère ou de mon mari. Nous recevons tous les gens