Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/65

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jamais, sortit de la chambre du condamné, se précipita dans le corridor, et joua l’horreur en se présentant à monsieur Gault.

— Monsieur le directeur, ce jeune homme est innocent, il m’a révélé le coupable !… Il allait mourir pour un faux point d’honneur… C’est un Corse ! Allez demander pour moi, dit-il, cinq minutes d’audience à monsieur le procureur général. Monsieur de Grandville ne refusera pas d’écouter immédiatement un prêtre espagnol qui souffre tant des erreurs de la justice française !

— J’y vais ! répondit monsieur Gault au grand étonnement de tous les spectateurs de cette scène extraordinaire.

— Mais, reprit Jacques Collin, faites-moi reconduire dans cette cour en attendant, car j’y achèverai la conversion d’un criminel que j’ai déjà frappé dans le cœur… Ils ont un cœur, ces gens-là !

Cette allocution produisit un mouvement parmi toutes les personnes qui se trouvaient là. Les gendarmes, le greffier des écrous, Sanson, les surveillants, l’aide de l’exécuteur, qui attendaient l’ordre d’aller faire dresser la mécanique, en style de prison ; tout ce monde, sur qui les émotions glissent, fut agité par une curiosité très concevable.

En ce moment, on entendit le fracas d’un équipage à chevaux fins qui arrêtait à la grille de la Conciergerie, sur le quai, d’une manière significative. La portière fut ouverte, le marchepied fut déplié si vivement que toutes les personnes crurent à l’arrivée d’un grand personnage. Bientôt une dame, agitant un papier bleu, se présenta, suivie d’un valet de pied et d’un chasseur, à la grille du guichet. Vêtue tout en noir, et magnifiquement, le chapeau couvert d’un voile, elle essuyait ses larmes avec un mouchoir brodé très ample.

Jacques Collin reconnut aussitôt Asie, ou, pour rendre son véritable nom à cette femme, Jacqueline Collin, sa tante. Cette atroce vieille, digne de son neveu, dont toutes les pensées étaient concentrées sur le prisonnier, et qui le défendait avec une intelligence, une perspicacité au moins égales en puissance à celles de la justice, avait une permission, donnée la veille au nom de la femme de chambre de la duchese de Maufrigneuse, sur la recommandation de monsieur de Sérisy, de communiquer avec Lucien et l’abbé Carlos Herrera, dès qu’il ne serait plus au secret, et sur laquelle le chef de division, chargé des prisons, avait écrit un mot. Le papier, par sa couleur, impliquait déjà de puissantes recommanda-