Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/91

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puni de mort ! Que serait-ce si, dans notre ressort, à Paris, on exécutait un innocent ? »

— C’est un forçat évadé, fit observer timidement monsieur Camusot.

— Il deviendrait entre les mains de l’opposition et de la presse un agneau pascal ! s’écria monsieur de Grandville, et l’opposition aurait beau jeu pour le savonner, car c’est un Corse fanatique des idées de son pays, ses assassinats sont les effets de la vendetta !… Dans cette île, on tue son ennemi, et l’on se croit, et l’on est cru très honnête homme.

» Ah ! les vrais magistrats sont bien malheureux ! Tenez ! ils devraient vivre séparés de toute société, comme jadis les pontifes. Le monde ne les verrait que sortant de leurs cellules à des heures fixes, graves, vieux, vénérables, jugeant à la manière des grands-prêtres dans les sociétés antiques, qui réunissaient en eux le pouvoir judiciaire et le pouvoir sacerdotal ! On ne nous trouverait que sur nos sièges… On nous voit aujourd’hui souffrant ou nous amusant comme les autres ! On nous voit dans les salons, en famille, citoyens, ayant des passions, et nous pouvons être grotesques au lieu d’être terribles… »

Ce cri suprême, scandé par des repos et des interjections, accompagné de gestes qui le rendaient d’une éloquence difficilement traduite sur le papier, fit frissonner Camusot.

— Moi, monsieur, dit Camusot, j’ai commencé hier aussi l’apprentissage des souffrances de notre état !… J’ai failli mourir de la mort de ce jeune homme, il n’avait pas compris ma partialité, le malheureux s’est enferré lui-même…

— Eh ! il fallait ne pas l’interroger, s’écria monsieur de Grandville, il est si facile de rendre service par une abstention !…

— Et la loi ! répondit Camusot, il était arrêté depuis deux jours !…

— Le malheur est consommé, reprit le procureur général. J’ai réparé de mon mieux ce qui, certes, est irréparable. Ma voiture et mes gens sont au convoi de ce pauvre faible poète. Sérisy a fait comme moi, bien plus, il accepte la charge que lui a donnée ce malheureux jeune homme, il sera son exécuteur testamentaire. Il a obtenu de sa femme, par cette promesse, un regard où luisait le bon sens. Enfin, le comte Octave assiste en personne à ses funérailles.