Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/97

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dents se trouvaient face à face avec la mort et restaient alors de marbre comme les statues qu’on leur a élevées.

— Mais peur de rester seul avec un forçat évadé.

— Laissez-nous, monsieur Camusot, dit vivement le procureur général.

— Je voulais vous proposer de me faire attacher les mains et les pieds, reprit froidement Jacques Collin en enveloppant les deux magistrats d’un regard formidable. Il fit une pause et reprit gravement : Monsieur le comte, vous n’aviez que mon estime, mais vous avez en ce moment mon admiration…

— Vous vous croyez donc redoutable ? demanda le magistrat d’un air plein de mépris.

Me croire redoutable ! dit le forçat, à quoi bon ? je le suis et je le sais. Jacques Collin prit une chaise et s’assit avec toute l’aisance d’un homme qui se sait à la hauteur de son adversaire dans une conférence où il traite de puissance à puissance.

En ce moment, monsieur Camusot, qui se trouvait sur le seuil de la porte qu’il allait fermer, rentra, revint jusqu’à monsieur de Grandville, et lui remit, pliés, deux papiers…

— Voyez, dit le juge au procureur général en lui montrant l’un des papiers.

— Rappelez monsieur Gault, cria le comte de Grandville aussitôt qu’il eut lu le nom de la femme de chambre de madame de Maufrigneuse, qui lui était connue.

Le directeur de la Conciergerie entra.

— Dépeignez-nous, lui dit à l’oreille le procureur général, la femme qui est venue voir le prévenu.

— Petite, forte, grasse, trapue, répondit monsieur Gault.

— La personne pour qui le permis a été délivré est grande et mince, dit monsieur de Grandville. Quel âge, maintenant ?

— Soixante ans.

— Il s’agit de moi, messieurs ? dit Jacques Collin. Voyons, reprit-il avec bonhomie, ne cherchez pas. Cette personne est ma tante, une tante vraisemblable, une femme, une vieille. Je puis vous éviter bien des embarras… Vous ne trouverez ma tante que si je le veux… Si nous pataugeons ainsi, nous n’avancerons guère.

— Monsieur l’abbé ne parle plus le français en espagnol, dit monsieur Gault, il ne bredouille plus.

— Parce que les choses sont assez embrouillées, mon cher mon-