Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/80

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LA DUCHESSE.

Avec un homme franc, général, je serai franche. L’étrangeté de votre demande ne me permet pas d’y répondre.

VAUTRIN.

Ah ! prenez garde ! Pour ne jamais nous tromper, nous autres diplomates, nous interprétons toujours le silence en mauvaise part.

LA DUCHESSE.

Monsieur, vous oubliez qu’il s’agit d’Inès de Christoval.

VAUTRIN.

Elle n’aime personne. Eh bien ! elle pourra donc obéir aux vœux de son père.

LA DUCHESSE.

Comment, M. de Christoval aurait disposé de sa fille ?

VAUTRIN.

Vous le voyez ? votre inquiétude vous trahit. Elle a donc fait un choix ! Eh bien ! maintenant je tremble autant de vous interroger que vous de répondre. Ah ! si le jeune homme aimé par votre fille était un étranger, riche, en apparence sans famille, et qui cachât son pays…

LA DUCHESSE.

Ce nom de Frescas, dit par vous, est celui que prend un jeune homme qui recherche Inès.

VAUTRIN.

Se nommerait-il aussi Raoul ?

LA DUCHESSE.

Oui, Raoul de Frescas.

VAUTRIN.

Un jeune homme fin, spirituel, élégant, vingt-trois ans.

LA DUCHESSE.

Doué de ces manières qui ne s’acquièrent pas.

VAUTRIN.

Romanesque au point d’avoir eu l’ambition d’être aimé pour lui-même, en dépit d’une immense fortune ; il a voulu la passion dans le mariage, une folie ! Le jeune Amoagos, car c’est lui, Madame…

LA DUCHESSE.

Mais ce nom de Raoul n’est pas…

VAUTRIN.

Mexicain, vous avez raison. Il lui a été donné par sa mère, une Française, une émigrée, une demoiselle de Granville, venue de Saint-Domingue. L’imprudent est-il aimé ?