Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/11

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Châteigneraie et Jarnac. Jarnac était accusé d’être en bons termes, avec sa belle-mère, qui fournissait au faste du trop aimé gendre. Quand un fait est si vrai, il ne doit pas être dit. Par dévouement pour le roi Henri II, qui s’était permis cette médisance, la Châteigneraie la prit sur son compte ; de là ce duel qui a enrichi la langue française de l’expression : coup de Jarnac.

— Ha ! l’expression vient de si loin, elle est donc noble, dit Finot.

— Tu pouvais ignorer cela en ta qualité d’ancien propriétaire de journaux et Revues, dit Blondet.

— Il est des femmes, reprit gravement Bixiou, il est aussi des hommes qui peuvent scinder leur existence, et n’en donner qu’une partie (remarquez que je vous phrase mon opinion d’après la formule humanitaire). Pour ces personnes, tout intérêt matériel est en dehors des sentiments ; elles donnent leur vie, leur temps, leur honneur à une femme, et trouvent qu’il n’est pas comme il faut de gaspiller entre soi du papier de soie où l’on grave : La loi punit de mort le contrefacteur. Par réciprocité, ces gens n’acceptent rien d’une femme. Oui, tout devient déshonorant s’il y a fusion des intérêts comme il y a fusion des âmes. Cette doctrine se professe, elle s’applique rarement…

— Hé ! dit Blondet, quelles vétilles ! Le maréchal de Richelieu, qui se connaissait en galanterie, fit une pension de mille louis à madame de La Popelinière, après l’aventure de la plaque de cheminée. Agnès Sorel apporta tout naïvement au roi Charles VII sa fortune, et le roi la prit. Jacques Cœur a entretenu la couronne de France, qui s’est laissé faire, et fut ingrate comme une femme.

— Messieurs, dit Bixiou, l’amour qui ne comporte pas une indissoluble amitié me semble un libertinage momentané. Qu’est-ce qu’un entier abandon où l’on se réserve quelque chose ? Entre ces deux doctrines, aussi opposées et aussi profondément immorales l’une que l’autre, il n’y a pas de conciliation possible. Selon moi, les gens qui craignent une liaison complète ont sans doute la croyance qu’elle peut finir, et adieu l’illusion ! La passion qui ne se croit pas éternelle est hideuse. (Ceci est du Fénelon tout pur.) Aussi, ceux à qui le monde est connu, les observateurs, les gens comme il faut, les hommes bien gantés et bien cravatés, qui ne rougissent pas d’épouser une femme pour sa fortune, proclament-