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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/113

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presque divine. À cette noble simplicité qui décorait sa tête impériale, d’Arthez joignait une expression naïve, le naturel des enfants, et une bienveillance touchante. Il n’avait pas cette politesse toujours empreinte de fausseté par laquelle dans ce monde les personnes les mieux élevées et les plus aimables jouent des qualités qui souvent leur manquent, et qui laissent blessés ceux qui se reconnaissent dupés. Il pouvait faillir à quelques lois mondaines par suite de son isolement ; mais comme il ne choquait jamais, ce parfum de sauvagerie rendait encore plus gracieuse l’affabilité particulière aux hommes d’un grand talent, qui savent déposer leur supériorité chez eux pour se mettre au niveau social, pour, à la façon d’Henri IV, prêter leur dos aux enfants, et leur esprit aux niais.

En revenant chez elle, la princesse ne discuta pas plus avec elle-même que d’Arthez ne se défendit contre le charme qu’elle lui avait jeté. Tout était dit pour elle : elle aimait avec sa science et avec son ignorance. Si elle s’interrogea, ce fut pour se demander si elle méritait un si grand bonheur, et ce qu’elle avait fait au ciel pour qu’il lui envoyât un pareil ange. Elle voulut être digne de cet amour, le perpétuer, se l’approprier à jamais, et finir doucement sa vie de jolie femme dans le paradis qu’elle entrevoyait. Quant à la résistance, à se chicaner, à coqueter, elle n’y pensa même pas. Elle pensait à bien autre chose ! Elle avait compris la grandeur des gens de génie, elle avait deviné qu’ils ne soumettent pas les femmes d’élite aux lois ordinaires. Aussi, par un de ces aperçus rapides, particuliers à ces grands esprits féminins, s’était-elle promis d’être faible au premier désir. D’après la connaissance qu’elle avait prise, à une seule entrevue, du caractère de d’Arthez, elle avait soupçonné que ce désir ne serait pas assez tôt exprimé pour ne pas lui laisser le temps de se faire ce qu’elle voulait, ce qu’elle devait être aux yeux de cet amant sublime.

Ici commence l’une de ces comédies inconnues jouées dans le for intérieur de la conscience, entre deux êtres dont l’un sera la dupe de l’autre, et qui reculent les bornes de la perversité, un de ces drames noirs et comiques, auprès desquels le drame de Tartufe est une vétille ; mais qui ne sont point du domaine scénique, et qui, pour que tout en soit extraordinaire, sont naturels, concevables et justifiés par la nécessité, un drame horrible qu’il faudrait nommer l’envers du vice. La princesse commença par envoyer chercher les œuvres de d’Arthez, elle n’en avait pas lu le premier