Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/128

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Mon fils me console de bien des choses. L’amour maternel nous rend tous les autres sentiments trompés ! Et le monde s’étonne de ma retraite ; mais j’y ai trouvé la félicité. Oh ! si vous saviez combien est heureuse ici la pauvre créature qui est là devant vous ! En sacrifiant tout à mon fils, j’oublie les bonheurs que j’ignore et que j’ignorerai toujours. Qui pourrait croire que la vie se traduit, pour la princesse de Cadignan, par une mauvaise nuit de mariage ; et toutes les aventures qu’on lui prête, par un défi de petite fille à deux épouvantables passions ? Mais personne. Aujourd’hui j’ai peur de tout. Je repousserai sans doute un sentiment vrai, quelque véritable et pur amour, en souvenir de tant de faussetés, de malheurs ; de même que les riches attrapés par des fripons qui simulent le malheur repoussent une vertueuse misère, dégoûtés qu’ils sont de la bienfaisance. Tout cela est horrible, n’est-ce pas ? mais croyez-moi, ce que je vous dis est l’histoire de bien des femmes.

Ces derniers mots furent prononcés d’un ton de plaisanterie et de légèreté qui rappelait la femme élégante et moqueuse. D’Arthez était abasourdi. À ses yeux, les gens que les tribunaux envoient au Bagne, qui pour avoir tué, qui pour avoir volé avec des circonstances aggravantes, qui pour s’être trompés de nom sur un billet, étaient de petits saints, comparés aux gens du monde. Cette atroce élégie, forgée dans l’arsenal du mensonge et trempée aux eaux du Styx parisien, avait été dite avec l’accent inimitable du vrai. L’écrivain contempla pendant un moment cette femme adorable, plongée dans son fauteuil, et dont les deux mains pendaient aux deux bras du fauteuil, comme deux gouttes de rosée à la marge d’une fleur, accablée par cette révélation, abîmée en paraissant avoir ressenti toutes les douleurs de sa vie à les dire, enfin un ange de mélancolie.

— Et jugez, fit-elle en se redressant par un soubresaut et levant une de ses mains et lançant des éclairs par les yeux où vingt soi-disant chastes années flambaient, jugez quelle impression dut faire sur moi l’amour de votre ami ; mais par une atroce raillerie du sort… ou Dieu peut-être… car alors, je l’avoue, un homme, mais un homme digne de moi, m’eût trouvée faible, tant j’avais soif de bonheur ! Eh ! bien, il est mort, et mort en sauvant la vie à qui ?… à monsieur de Cadignan ! Étonnez-vous de me trouver rêveuse…

Ce fut le dernier coup. Le pauvre d’Arthez n’y tint pas, il se mit à genoux, il fourra sa tête dans les mains de la princesse, et il y pleura, il y versa de ces larmes douces que répandraient les anges,