maison et les habits de son père. Sans cesse occupée comme une servante, elle ne sortait jamais seule. Quoique demeurant à deux pas du boulevard du Temple, où se trouvaient Franconi, la Gaîté, l’Ambigu-Comique, et plus loin la Porte Saint-Martin, Élisabeth n’était jamais allée à la comédie. Quand elle eut la fantaisie de voir ce que c’était, avec la permission de monsieur Gaudron, bien entendu, monsieur Baudoyer la mena, par magnificence et afin de lui montrer le plus beau de tous les spectacles, à l’Opéra, où se donnait alors le Laboureur chinois. Élisabeth trouva la comédie ennuyeuse comme les mouches et n’y voulut plus retourner. Le dimanche, après avoir cheminé quatre fois de la Place-Royale à l’église Saint-Paul, car sa mère lui faisait pratiquer strictement les préceptes et les devoirs de la religion, son père et sa mère la conduisaient devant le café Turc, où ils s’asseyaient sur des chaises placées alors entre une barrière et le mur. Les Saillard se dépêchaient d’arriver les premiers afin d’être au bon endroit, et se divertissaient à voir passer le monde. À cette époque, le Jardin Turc était le rendez-vous des élégants et élégantes du Marais, du faubourg Saint-Antoine et lieux circonvoisins. Élisabeth n’avait jamais porté que des robes d’indienne en été, de mérinos en hiver, et les faisait elle-même ; sa mère ne lui donnait que vingt francs par mois pour son entretien ; mais son père, qui l’aimait beaucoup, tempérait cette rigueur par quelques présents. Elle n’avait jamais lu ce que l’abbé Gaudron, vicaire de Saint-Paul et le conseil de la maison, appelait des livres profanes. Ce régime avait porté ses fruits. Obligée d’employer ses sentiments à une passion quelconque, Élisabeth devint âpre au gain. Elle ne manquait ni de sens ni de perspicacité ; mais les idées religieuses et son ignorance ayant enveloppé ses qualités dans un cercle d’airain, elles ne s’exercèrent que sur les choses les plus vulgaires de la vie ; puis, disséminées sur peu de points, elles se portaient tout entières dans l’affaire en train. Réprimé par la dévotion, son esprit naturel dut se déployer entre les limites posées par les cas de conscience, qui sont un magasin de subtilités où l’intérêt choisit ses échappatoires. Semblable à ces saints personnages chez qui la religion n’a pas étouffé l’ambition, elle était capable de demander au prochain des actions blâmables pour en recueillir tout le fruit ; dans l’occasion, elle eût été, comme eux, implacable pour son dû, sournoise dans les moyens. Offensée, elle eût observé ses adversaires avec la perfide patience des chats, et se serait mé-
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