Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/197

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transposition en mettant le mot malheur à la place du mot bonheur.

Or, la Division La Billardière était située par soixante et onze marches de longitude sous la latitude des mansardes dans l’océan ministériel d’un magnifique hôtel, au nord-est d’une cour, où jadis étaient des écuries, alors occupées par la Division Clergeot. Un palier séparait les deux bureaux, dont les portes étaient étiquetées, le long d’un vaste corridor éclairé par des jours de souffrance. Les cabinets et antichambres de messieurs Rabourdin et Baudoyer étaient au-dessous, au deuxième étage. Après celui de Rabourdin se trouvaient l’antichambre, le salon et les deux cabinets de monsieur La Billardière.

Au premier étage, coupé en deux par un entresol, était le logement et le bureau de monsieur Eugène de La Brière, personnage occulte et puissant qui sera décrit en quelques phrases, car il mérite bien une parenthèse. Ce jeune homme fut, pendant tout le temps que dura le Ministère, le secrétaire particulier du ministre. Aussi son appartement communiquait-il par une porte dérobée au cabinet réel de Son Excellence, car après le cabinet de travail il y en avait un autre en harmonie avec les grands appartements où Son Excellence recevait, afin de pouvoir conférer tour à tour avec son secrétaire particulier sans témoins, et, avec de grands personnages sans son secrétaire. Un secrétaire particulier est au ministre ce que des Lupeaulx était au ministère. Entre le jeune La Brière et des Lupeaulx, il y avait la différence de l’aide-de-camp au chef d’état-major. Cet apprenti-ministre décampe et reparaît quelquefois avec son protecteur. Si le ministre tombe avec la faveur royale ou avec des espérances parlementaires, il emmène son secrétaire pour le ramener ; sinon il le met au vert en quelque pâturage administratif, à la Cour des Comptes, par exemple, cette auberge où les secrétaires attendent que l’orage se dissipe. Ce jeune homme n’est pas précisément un homme d’État mais c’est un homme politique, et quelquefois la politique d’un homme. Quand on pense au nombre infini de lettres qu’il doit décacheter et lire, outre ses occupations, n’est-il pas évident que dans un état monarchique on payerait cette utilité bien cher. Une victime de ce genre coûte à Paris entre dix et vingt mille francs ; mais le jeune homme profite des loges, des invitations et des voitures ministérielles. L’empereur de Russie serait très-heureux d’avoir pour cinquante mille francs par an, un de ces aima-