Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/205

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horrible pressentiment, il s’écria : — Je m’en doutais ! et il s’élança dans le corridor avec la rapidité d’une flèche.

— Il y aura du grabuge dans les Bureaux ! dit Antoine en branlant sa tête blanchie et endossant son costume officiel. On voit bien que monsieur le baron rend ses comptes à Dieu… Oui, madame Gruget, sa garde, m’a dit qu’il ne passerait pas la journée. Vont-ils se remuer ici ! Le vont-ils ! Allez voir si tous les poêles ronflent bien, vous autres ! Sabre de bois, notre monde va nous tomber sur le dos.

— C’est vrai, dit Laurent, que ce pauvre petit jeune homme a eu un fameux coup de soleil en apprenant que ce jésuite de monsieur Dutocq l’avait devancé.

— Moi j’ai beau lui dire, car enfin on doit la vérité à un bon employé, et ce que j’appelle un bon employé, c’est un employé comme ce petit qui donne recta ses dix francs au jour de l’an, reprit Antoine. Je lui dis donc : Plus vous en ferez, plus on vous en demandera et l’on vous laissera sans avancement ! Eh ! bien, il ne m’écoute pas, il se tue à rester jusqu’à cinq heures, une heure de plus que tout le monde (il hausse les épaules). C’est des bêtises, on n’arrive pas comme ça !… À preuve qu’il n’est pas encore question d’appointer ce pauvre enfant qui ferait un bon employé. Après deux ans ! ça scie le dos, parole d’honneur.

— Monsieur Rabourdin aime monsieur Sébastien, dit Laurent.

— Mais monsieur Rabourdin n’est pas ministre, reprit Antoine, et il fera chaud quand il le sera, les poules auront des dents, il est bien trop… Suffit ! Quand je pense que je porte à émarger l’état des appointements à des farceurs qui restent chez eux, et qui y font ce qu’ils veulent, tandis que ce petit Laroche se crève, je me demande si Dieu pense aux Bureaux ! Et qu’est-ce qu’ils vous donnent, ces protégés de monsieur le maréchal, de monsieur le duc ? ils vous remercient : (il fait un signe de tête protecteur) « Merci, mon cher Antoine ! » Tas de faignants, travaillez donc ! ou vous serez cause d’une révolution. Fallait voir s’il y avait de ces giries-là sous monsieur Robert Lindet ; car, moi tel que vous me voyez, je suis entré dans cette baraque sous Robert Lindet. Et sous lui, l’employé travaillait ! Fallait voir tous ces gratte-papier jusqu’à minuit, les poêles éteints, sans seulement s’en apercevoir ; mais c’est qu’aussi la guillotine était là !… et, c’est pas pour dire, mais c’était autre chose que de les pointer, comme aujourd’hui, quand ils arrivent tard.