Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/213

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quelles leur physique a plu, et avec lesquelles ils ont filé un roman émaillé de lettres stupides, mais qui ont produit leur effet. Ces commis sont quelquefois hardis, ils voient passer une femme en équipage aux Champs-Elysées, ils se procurent son adresse, ils lancent des épîtres passionnées à tout hasard, et rencontrent une occasion qui malheureusement encourage cette ignoble spéculation.

Ce Bixiou (prononcez Bisiou) était un dessinateur qui se moquait de Dutocq aussi bien que de Rabourdin, surnommé par lui la vertueuse Rabourdin. Pour exprimer la vulgarité de son chef, il l’appelait la place Baudoyer, il nommait le vaudevilliste Flon-Flon. Sans contredit l’homme le plus spirituel de la Division et du Ministère, mais spirituel à la façon du singe, sans portée ni suite, Bixiou était d’une si grande utilité à Baudoyer et à Godard qu’ils le protégeaient malgré sa malfaisance, il expédiait leur besogne par-dessous la jambe. Bixiou désirait la place de Godard ou de du Bruel ; mais sa conduite nuisait à son avancement. Tantôt il se moquait des Bureaux, et c’était quand il venait de faire une bonne affaire, comme la publication des portraits dans le procès Fualdès pour lesquels il prit des figures au hasard, ou celle des débats du procès de Castaing ; tantôt saisi par une envie de parvenir, il s’appliquait au travail ; puis il le laissait pour un vaudeville qu’il ne finissait point. D’ailleurs égoïste, avare et dépensier tout ensemble, c’est-à-dire ne dépensant son argent que pour lui ; cassant, agressif et indiscret, il faisait le mal pour le mal : il attaquait surtout les faibles, ne respectait rien, ne croyait ni à la France, ni à Dieu, ni à l’Art, ni aux Grecs, ni aux Turcs, ni au Champ-d’Asile, ni à la monarchie, insultant surtout ce qu’il ne comprenait point. Ce fut lui qui, le premier, mit des calottes noires à la tête de Charles X sur les pièces de cent sous. Il contrefaisait le docteur Gall à son cours, de manière à décravater de rire le diplomate le mieux boutonné. La plaisanterie principale de ce terrible inventeur de charges consistait à chauffer les poêles outre mesure, afin de procurer des rhumes à ceux qui sortaient imprudemment de son étuve, et il avait de plus la satisfaction de consommer le bois du gouvernement. Remarquable dans ses mystifications, il les variait avec tant d’habileté, qu’il y prenait toujours quelqu’un. Son grand secret en ce genre était de deviner les désirs de chacun ; il connaissait le chemin de tous les châteaux en Espagne, le rêve où l’homme est mystifiable parce qu’il cherche à s’attraper lui-même, et il vous