Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/242

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CHAZELLE.

Comptons ? Quatre cents au bout du pont de la Concorde, ainsi nommé parce qu’il mène au spectacle de la perpétuelle discorde entre la Gauche et la Droite de la Chambre ; trois cents autres au bout de la rue de Tournon. La Cour, qui doit compter pour trois cents, est donc obligée d’avoir sept cents fois plus de volonté que l’Empereur pour nommer un de ses protégés à une place quelconque !…

FLEURY.

Tout cela signifie que, dans un pays où il y a trois pouvoirs, il y a mille à parier contre un, qu’un employé qui n’est protégé que par lui-même n’aura point d’avancement.

BIXIOU (regardant tour à tour Chazelle et Fleury).

Ah ! mes enfants, vous en êtes encore à savoir qu’aujourd’hui le plus mauvais état c’est l’état d’être à l’État…

FLEURY.

À cause du gouvernement constitutionnel.

COLLEVILLE.

Messieurs !… ne parlons pas politique.

BIXIOU.

Fleury a raison. Aujourd’hui, messieurs, servir l’État, ce n’est plus servir le prince qui savait punir et récompenser ! Aujourd’hui l’État, c’est tout le monde. Or, tout le monde ne s’inquiète de personne. Servir tout le monde, c’est ne servir personne. Personne ne s’intéresse à personne. Un employé vit entre ces deux négations ! Le monde n’a pas de pitié, n’a pas d’égard, n’a ni cœur, ni tête ; tout le monde est égoïste, oublie demain les services d’hier. Vous avez beau vous trouver, comme monsieur Baudoyer, dès l’âge le plus tendre, un génie administratif, le Châteaubriand des rapports, le Bossuet des circulaires, le Canalis des mémoires, l’enfant sublime de la dépêche, il existe une loi désolante contre le génie administratif, la loi sur l’avancement avec sa moyenne. Cette fatale Moyenne résulte des tables de la loi sur l’avancement et des tables de mortalité combinées. Il est certain qu’en entrant dans quelque administration que ce soit, à l’âge de dix-huit ans, on n’obtient dix-huit cents francs d’appointements qu’à trente ans ; pour en obtenir six mille à cinquante, la vie de Colleville nous prouve que le génie d’une femme, l’appui de plusieurs pairs de France, de plusieurs députés influents, ne sert à rien. Il n’est donc pas de car-