Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/249

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« Monseigneur,

Si vingt-trois ans de services irréprochables peuvent mériter une faveur, je supplie Votre Excellence de m’accorder une audience aujourd’hui même, il s’agit d’une affaire où mon honneur se trouve engagé. »

Suivaient les formules de respect.

— Pauvre homme ! dit des Lupeaulx avec un ton de compassion qui laissa le ministre dans son erreur, nous sommes entre nous, faites-le venir. Vous avez Conseil après la Chambre, et votre Excellence doit aujourd’hui répondre à l’Opposition, il n’y a pas d’autre heure où vous puissiez le recevoir. Des Lupeaulx se leva, demanda l’huissier, lui dit un mot, et revint s’asseoir à table. — Je l’ajourne au dessert, dit-il.

Comme tous les ministres de la Restauration, le ministre était un homme sans jeunesse. La charte concédée par Louis XVIII avait le défaut de lier les mains aux rois en les forçant à livrer les destinées du pays aux quadragénaires de la Chambre des Députés et aux septuagénaires de la Pairie, de les dépouiller du droit de saisir un homme de talent politique là où il était, malgré sa jeunesse ou malgré la pauvreté de sa condition. Napoléon seul put employer des jeunes gens à son choix, sans être arrêté par aucune considération. Aussi, depuis la chute de cette grande volonté, l’énergie avait-elle déserté le pouvoir. Or, faire succéder la mollesse à la vigueur est un contraste plus dangereux en France qu’en tout autre pays. En général, les ministres arrivés vieux ont été médiocres, tandis que les ministres pris jeunes ont été l’honneur des monarchies européennes et des républiques où ils dirigèrent les affaires. Le monde retentissait encore de la lutte de Pitt et de Napoléon, deux hommes qui conduisirent la politique à l’âge où les Henri de Navarre, les Richelieu, les Mazarin, les Colbert, les Louvois, les d’Orange, les Guise, les la Rovère, les Machiavel, enfin tous les grands hommes connus, partis d’en bas ou nés aux environs des trônes, commencèrent à gouverner des États. La Convention, modèle d’énergie, fut composée en grande partie de têtes jeunes ; aucun souverain ne doit oublier qu’elle sut opposer quatorze armées à l’Europe ; sa politique, si fatale aux yeux de ceux qui tiennent pour le pouvoir, dit absolu, n’en était pas moins dictée par les