Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/275

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Il savait trop bien, à cinq heures, ce que devait contenir la feuille ministérielle, pour s’amuser à la lire ; mais il l’ouvrit pour regarder l’article de La Billardière, en pensant à l’embarras dans lequel du Bruel l’avait mis en lui apportant la railleuse rédaction de Bixiou. Il ne put s’empêcher de rire en relisant la biographie de feu le comte de Fontaine, mort quelques mois auparavant, et qu’il avait réimprimée pour La Billardière, quand tout à coup ses yeux furent éblouis par le nom de Baudoyer. Il lut avec fureur le spécieux article qui engageait le Ministère. Il sonna vivement et fit demander Dutocq pour l’envoyer au journal. Quel fut son étonnement en lisant la réponse de l’Opposition ! car, par hasard, ce fut la feuille libérale qui lui vint la première sous la main. La chose était sérieuse. Il connaissait cette partie, et le maître qui brouillait ses cartes lui parut un Grec de la première force. Disposer avec cette habileté de deux journaux opposés, à l’instant, dans la même soirée, et commencer le combat, en devinant l’intention du Ministre ! Il reconnut la plume d’un rédacteur libéral de sa connaissance, et se promit de le questionner le soir à l’Opéra. Dutocq parut.

— Lisez, lui dit des Lupeaulx en lui tendant les deux journaux et continuant à parcourir les autres feuilles pour savoir si Baudoyer y avait remué quelque autre corde. Allez savoir qui s’est avisé de compromettre ainsi le Ministère.

— Ce n’est toujours pas monsieur Baudoyer, répondit Dutocq, il n’a pas quitté son bureau hier. Je n’ai pas besoin d’aller au journal. En y apportant votre article hier, j’ai vu l’abbé qui s’est présenté muni d’une lettre de la Grande-Aumônerie, et devant laquelle vous eussiez plié vous-même.

— Dutocq, vous en voulez à monsieur Rabourdin, et ce n’est pas bien, car il a deux fois empêché votre destitution. Mais nous ne sommes pas les maîtres de nos sentiments : on peut haïr son bienfaiteur. Seulement, sachez que si vous vous permettez contre Rabourdin la moindre traîtrise, avant que je vous aie donné le mot d’ordre, ce sera votre perte, vous me compterez comme votre ennemi. Quant au journal de mon ami, que la Grande-Aumônerie lui prenne notre nombre d’abonnements, si elle veut s’en servir exclusivement. Nous sommes à la fin de l’année, la question de l’abonnement sera bientôt discutée, et nous nous entendrons ? Quant à la place de La Billardière, il y a un moyen d’en finir, c’est d’y nommer aujourd’hui même.