Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/29

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réfléchie, blanche, à visage doré comme la mousse d’un pot de bière, enrichie de toutes les vertus patriarcales que la Germanie possède, romancièrement parlant. Elle avait les joues encore fraîches, colorées aux pommettes comme celle d’une poupée de Nuremberg, des tire-bouchons très-éveillés aux tempes, les yeux agaçants, pas le moindre cheveu blanc, une taille mince, et dont les prétentions étaient mises en relief par des robes à corset. Elle avait au front et aux tempes quelques rides involontaires qu’elle aurait bien voulu, comme Ninon, exiler à ses talons ; mais les rides persistaient à dessiner leurs zigs-zags aux endroits les plus visibles. Chez elle, le tour du nez se fanait, et le bout rougissait, ce qui était d’autant plus gênant que le nez s’harmoniait alors à la couleur des pommettes. En qualité d’unique héritière, gâtée par ses parents, gâtée par son mari, gâtée par la ville de Strasbourg, et toujours gâtée par ses deux filles qui l’adoraient, la baronne se permettait le rose, la jupe courte, le nœud à la pointe du corset qui lui dessinait la taille. Quand un Parisien voit cette baronne passant sur le boulevard, il sourit, la condamne sans admettre, comme le Jury actuel, les circonstances atténuantes dans un fratricide ! Le moqueur est toujours un être superficiel et conséquemment cruel, le drôle ne tient aucun compte de la part qui revient à la Société dans le ridicule dont il rit, car la Nature n’a fait que des bêtes, nous devons les sots à l’État social.

— Ce que je trouve de beau dans Bixiou, dit Blondet, c’est qu’il est complet : quand il ne raille pas les autres, il se moque de lui-même.

— Blondet, je te revaudrai cela, dit Bixiou d’un ton fin. Si cette petite baronne était évaporée, insouciante, égoïste, incapable de calcul, la responsabilité de ses défauts revenait à la maison Adolphus et compagnie de Manheim, à l’amour aveugle du baron d’Aldrigger. Douce comme un agneau, cette baronne avait le cœur tendre, facile à émouvoir, mais malheureusement l’émotion durait peu et conséquemment se renouvelait souvent. Quand le baron mourut, cette bergère faillit le suivre, tant sa douleur fut violente et vraie ; mais… le lendemain, à déjeuner, on lui servit des petits pois qu’elle aimait, et ces délicieux petits pois calmèrent la crise. Elle était si aveuglément aimée par ses deux filles, par ses gens, que toute la maison fut heureuse d’une circonstance qui leur permit de dérober à la baronne le spectacle douloureux du convoi. Isaure et Malvina cachèrent leurs larmes à cette mère adorée, et l’occu-